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Le concours de Biskra (1923)
 

Le 3 janvier 1923, une nouvelle stupéfiante secoue le petit monde du vol sans moteur français : Joseph Thoret, lieutenant dans l’Armée de l’Air, a réalisé un vol de 7 heures et 3 minutes, près de Biskra (Algérie), avec son avion Hanriot HD-14, hélice calée ! Rappelons que le record du monde de durée en planeur était de 3 h 22, propriété d’Alexis MANEYROL depuis le concours d’Itford Hill (Angleterre) en octobre 1922.
Mais que diable Thoret faisait-il à Biskra en ce tout début d’année 1923 ? Il avait tout simplement été envoyé en mission en Afrique du Nord, par le sous-secrétariat à l’Aéronautique avec l’objectif de rechercher des sites propices au vol sans moteur, et il était arrivé à Biskra avec son épouse en novembre 1922. Il disposait d’un avion militaire Hanriot HD-14 et était accompagné d’un mécanicien dénommé Young. En effet, depuis le Congrès expérimental de Combegrasse qui avait eu lieu en août 1922, les organismes officiels se préoccupaient déjà de l'organisation d'un deuxième concours de vol sans moteur. Dès le début de l'automne 1922 le nom de Biskra avait été avancé, puisqu'on pouvait lire dans la revue anglaise Flight du 22 octobre 1922 :
"Arrangements are now in progress for holding a gliding meeting at Biskra in Algeria. The meeting is to be held in January next, and the chief prize will be one of 10000 francs, offered by M. Dal Piaz. Biskra has been choosen partly because a range of hills 12 miles long and rising 1350 feet is situated here and partly because it is thought that it may prove possible to soar in the rising air currents from the hot desert."

On peut lire un compte-rendu détaillé des activités de Thoret à Biskra dans [10]


Cette photo résume parfaitement le concours de Biskra :
Aridité de la région, abrupt de la pente, exiguïté du tremplin de décollage, les quatre machines présentes
et le Lieutenant Thoret qui vole et plane avec son biplan Hanriot HD-14 [1]

Le Lieutenant Thoret prospecte systématiquement la région en étudiant l’aérologie, le relief et les possibilités d’atterrissage.
Avec son biplan Thoret vole souvent moteur réduit, ou même arrêté pour tester les mouvements de l’air. C’est dans ces conditions assez particulières qu’il accumule les performances : nous avons parlé de son exploit du 3 janvier, mais les performances s’enchaînent et le 9 janvier il vole 1 heure 9 minutes, en biplace avec son mécanicien Young (bien sûr toujours hélice calée), puis plusieurs fois plus d’une heure avec l’Adjudant Descamps. Il initie Descamps au vol sans moteur et le lâche hélice calée sur le Hanriot. Descamps, pendant le concours, quelques jours plus tard, saura tirer profit des leçons de Thoret.


Le Lieutenant Thoret en reconnaissance sur le djebel Ed-Delouatt
Son Hanriot est posé en contrebas dans la plaine [1]
 
LA MISE SUR PIED DU CONCOURS

Un comité d’organisation est créé (NdR : à quelle date ?) sous l’impulsion du Colonel Quinton. Il est composé d’André Citroën, constructeur d’automobiles, de Mr Dal Piaz, président de la Compagnie Générale Transatlantique, et placé sous la direction du Commandant Brocard, ancien commandant de l’escadrille des Cigognes.
L’A.F.A. sollicitée pour l’organisation, se récuse, trop occupée par l’organisation de son propre concours (la décision de l'organiser en août à Vauville, près de Cherbourg, sera prise fin décembre 1922 lors du congrès de vol sans moteur). Mais le comité reçoit le soutien de l’Aéro-Club de France.
En Afrique du Nord, un comité local est formé, sous la présidence de César Gonin, soutenu par Edmond Cazenave, maire de Biskra. C’est ce comité local qui prend la décision d’organiser un concours à Biskra.
Le concours reçoit immédiatement le soutien de diverses personnalités, dont le Gouverneur Général de l’Algérie, Théodore Steeg, le général Paulinier, commandant le XIXe Corps d’armée, Mr Boulogne, directeur des Territoires du Sud, le Maréchal Lyautey et le Maréchal Franchet d’Esperey.


De gauche à droite : le mécanicien Young, le Lieutenant Thoret, Mme et Mr Cazenave [1]

Un soutien financier est apporté par le secrétariat d’État à l’Aéronautique, la Compagnie générale transatlantique, la banque d’Algérie, la Résidence de Tunis, les villes de Constantine et de Biskra et le Maréchal Lyautey.
Grâce à ces subventions le comité d’organisation est à même de proposer des prix nombreux et importants :
            10000 F de la ville de Biskra pour la plus grande durée de vol totalisée sur un même appareil,
            5000 F de la Résidence de Tunis pour la plus grande hauteur atteinte,
            5000 F du Maréchal Lyautey pour la plus grande distance en ligne droite,
            5000 F de Mr Merlin, gouverneur de l’Indochine, pour la plus grande distance parcourue sans l’aide du relief (c'est à dire en terrain plat).
La Compagnie Générale Transatlantique et la Compagnie des Chemins de Fer offrent des conditions très avantageuses pour le transport des pilotes et des appareils.

Dans son édition du vendredi 24 novembre 1922, le journal "Le Matin" publie l'entrefilet suivant [9]
La TUNISIE s'intéresse à son tour au vol à voile
M. Lucien Saint, résident général, fonde un prix de 5.000 francs pour le concours de Biskra.
Le total des prix recueillis par Le Matin s'élève à 480.000 francs

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Nous recevons de M. Quinton la lettre suivante :

Monsieur le rédacteur en chef,
J'ai l'honneur de vous faire connaître que je reçois d'Algérie un télégramme de M. Gonin, président du comité local d'organisation du congrès de vol à voile, projeté pour le mois de janvier prochain à Biskra.
M. Gonin m'informe que M. Lucien Saint, résident général de la République française en Tunisie, vient d'allouer, au nom de la résidence générale, une subvention de 5.000 francs au congrès de vol sans moteur de l'Afrique du nord.
L'appui si spontané que M. le résident général de Tunisie veut bien donner à notre cause me touche vivement, et je lui en exprime toute ma reconnaissance. Je suis heureux de voir des hommes aussi éminents que M. Merlin, gouverneur général de l'Afrique occidentale française, et M. Lucien Saint, comprendre l'intérêt pour les pays qu'ils administrent, d'expériences qui se poursuivront en dehors de leurs propres territoires. Comme l'exprimait avant-hier Le Matin, il y a là une vue juste et large des choses dont le mérite est grand et qu'on ne saurait trop approuver. Les subventions du gouvernement général de l'Afrique occidentale française et de la résidence générale de la Tunisie resteront parmi les plus suggestives que nous ayons obtenues.
R. QUINTON
Vice président de la Ligue Aéronautique de France


M. Lucien SAINT
Le 11 janvier, la revue Flight publie l'entrefilet suivant laissant entendre que les dates du concours ne sont pas encore fixées :
Although not definitely decided yet, it appears probable that the French gliding competition at Biskra will take place from January 20 to the early part of February. The experiments made by Lieut. Thoret have definitely indicated that suitable soaring and gliding conditions may be expected to be met with, and already two machines have been entered, one by Thoret and the other by Adjudant Descamps. Thoret's machine will, we believe, be designed and built by Hanriot's. It is expected that the next entrant will be Maneyrol."
Finalement les dates sont annoncées : les expériences débuteront le 26 janvier pour se terminer le 6 février, date de cloture initialement prévue. En fait le concours sera prolongé jusqu’au 22 février.
LE SITE DE VOL

D’après les prospections de Joseph Thoret, seul le site du djebel Ed Delouatt paraît réellement le plus favorable de la région. Il s’agit d’une crête abrupte de quatre kilomètres de long, face aux vents du nord-ouest, vents dominants en hiver, s’élevant de 125 mètres au dessus d’une plaine sableuse.

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Le djebel Ed Delouatt, au sud ouest de la palmeraie de Biskra, d'après une ancienne carte d'état major [1] et une vue aérienne actuelle de la même zone [Google Maps]


Une vue du site de vol comme a pu le survoler Joseph Thoret avec son Hanriot


Mais rien ne vaut une bonne vieille photo d'époque. Le site de vol vu de l'oued au bas de la pente, et au dessus l'omniprésent Hanriot !
Le tremplin de décollage pourrait être la tâche blanche au fond du thalweg, un peu en dessous de la crête (?) [3]

Le site est aménagé avec l'aide de tirailleurs sénégalais mis à la disposition du comité local d’organisation. Une petite plateforme en planches, de 16 mètres de long par 6 mètres de large  est installés sur un terre-plein exiguë, 70 mètres au dessus de l’oued, sur le bord de la pente très raide.
La remontée des planeurs sur l’aire de lancement sera difficile, Les planeurs seront attachés à une corde passée sur une poulie fixée au rocher, derrière le tremplin et la corde sera tirée par des mulets.
Les décollages se feront au sandow. L’étambot du planeur est fixé au rocher par un câble. Le sandow est tendu par 10 aides. Le planeur est catapulté lorsque le câble est rompu. Le pilote doit commencer par piquer pour décrocher le sandow puis prendre immédiatement sa ligne de vol. La manœuvre n’est pas aisée, d’autant que le vent souvent fort, n’est pas toujours dans l’axe.


Vue de l'aire de décollage vers le bas de la pente. Un Dewoitine P-3 est en haut du tremplin. Les sandows sont posés au sol.
L'autre P-3 (d'après la forme du fuselage) est en bas de la pente, prêt à être remonté : on voit sur la gauche la corde qui devait servir à tirer les planeurs.[3]
La nuit ou quand ils ne volent pas, les planeurs sont protégés par des housses en toile, et placés au fond de grand trous creusés dans le sable pour ne pas risquer d’être emportés par le vent.

Les deux Dewoitine P-3 protégés du vent de sable. En arrière-plan le Hanriot HD-14 de Joseph THORET [1]


André Citroën et Adolphe Kégresse ont mis des autochenilles à la disposition des organisateurs afin d’assurer les liaisons entre la ville de Biskra et le site de vol. Adolphe Kégresse assure la promotion de ses véhicules en prenant lui-même le volant de l'un d'entre eux.
Les autochenilles Citroën-Kégresse ont été rendu célèbres surtout grâce à leur utilisation durant la Croisière Jaune.

LES PILOTES

Il y a peu d’engagés, en tout et pour tout cinq. Ce faible nombre comparé aux 35 inscrits du Congrès de Combegrasse, peut peut-être s'expliquer par de la vitesse avec laquelle ce congrès expérimental a été décidé et mis sur pied, et aussi par l'éloignement et les difficultés de transport depuis la France jusqu'aux confins du Sahara.
On peut noter qu' Alexis Maneyrol n’est pas venu. Il est en effet au même moment à Vauville où, le 29 janvier 1923, il porte le record du monde de durée à 8 heures 4 minutes 50 secondes. En effet, à la fin de l’année 1922, très exactement les 23 et 24 décembre, se tient à Paris le deuxième congrès d’aviation sans moteur, organisé par l’Association française aérienne (A.F.A.), sous la présidence du Colonel Renard. Après avoir analysé les résultats du premier congrès expérimental qui avait eut lieu au Puy de Combegrasse en août 1922, les participants discutent l’organisation du deuxième congrès expérimental. Le lieu n’est pas décidé, mais le nom de Vauville, près de Cherbourg est avancé par Maurice Victor. Maurice Victor qui est vice-président de l’A.F.A. et collaborateur au journal Les Ailes, connaît bien l’anse de Vauville car il a des liens familiaux dans cette région du Cotentin. Les congressistes acceptent la proposition et fixent la période d’organisation du 5 au 27 août 1923.

Les cinq participants sont :


Georges Barbot devant son Dewoitine P-2 [2]

Georges BARBOT

Pilote de chasse pendant la guerre, il est maintenant pilote d’essai chez Dewoitine. Cest un « ancien » de Combegrasse et il volera.sur le planeur Dewoitine P-2.


François Descamps dans le P-3 (Vauville, août 1923)
A droite Georges Barbot en tenue de ville [4]

Adjudant François DESCAMPS

Récemment converti au vol sans moteur, lui aussi était présent à Combegrasse. Arrivé à Biskra avant le début du concours, Déjà sur place avec Thoret  puisque ce dernier l’a fait voler sur son Hanriot pendant le mois de janvier. Il volera sur planeur Dewoitine P-3.


Alfred Fronval sur le tremplin de décollage. [8]

Alfred FRONVAL

Eexcellent pilote de voltige avion et chef-pilote réputé de la Société Morane-Saulnier. Il arrive à Biskra sans aucune expérience du vol sans moteur ! Il pilotera un Dewoitine P-3.

 

Adjudant LE PETIT

Pilote du S.T.Aé. (Service Technique Aéronautique) il volera sur le tandem Alérion n° 2 que lui confie Louis Peyret, présent à Biskra. Mais pilote trop inexpérimenté en vol sans moteur pour ces conditions de vol très difficiles, il aura un accident où il sera blessé à une cheville. Mais le planeur Peyret est lui détruit.


Joseph Juste Thoret vers 1920 {4]

Lieutenant Joseph THORET 

Militaire de carrière, il a été pilote dans l'armée pendant la guerre. Il est déjà sur place depuis novembre 1922 comme on l’a déjà vu et c’est lui qui est à l’origine du choix du site. Il avait participé au congrès expérimental de Combegrasse en août 1922. Il volera sur  planeur Dewoitine P-3 (et surtout sur l'avion biplan Hanriot).

On note aussi qu'il n'y a pas de pilote britannique, et en particulier Raynham, le pilote le plus en vue en Angleterre. Flight, dans son édition du 1 février 1923, justifie ainsi son absence :
"Unfortunately this country will not be represented, as Raynham has decided not to go. The rules for the competition were changed repeatedly, and it was even stated that the competition would not be held at Biskra after all. Then came the flights by Thoret in a Hanriot school machine (power driven), and it was found that the locality was suitable after all. Probably this influenced the organisers in their decision to hold the meeting, but what with all this uncertainty Raynham did not think it " good enough," and has decided to remain at home. Nor do we blame him."

LES MACHINES
Quatre planeurs sont acheminés à Biskra, de trois types différents :
Dewoitine P-2


Le Dewoitine P-2 à ailes souples (ici à Combegrasse en août 1922). Plan 3 vues de Réginald Jouhaud [2]

            Monoplan cantilever, envergure 11,25 m, surface 15,5 m2 voilure souple, le profil épais (Dewoitine 50) se déforme par glissement de l’extrados sur l’intrados. Masse à vide 110 kg. Charge alaire 13 kg/m2. Fuselage ovoïde à multiples facettes entoilées de 4,40 m de long. Cette machine avait volé à Combegrasse, puis été cassée à Itford-Hill. Après réparation elle a été dotée d’un nouveau train d’atterrissage. C’est le planeur préféré de Georges Barbot.

Dewoitine P-3

Dewoitine P-3 (appareil confié à Georges Bardot pour le 2e congrès expérimental à Vauville, août 1923) [4]

Proche du P-2 par ses dimensions, le P-3 est toutefois très différent car ses ailes sont rigides et équipées d’ailerons. Son fuselage est de section carrée, de 75 centimètres de largeur, recouvert de contreplaqué mince. La petite longueur du fuselage surprend. L’aile est simplement posée sur le fuselage, et seule dépasse la tête du pilote.
Les deux Dewoitine P-3 de Biskra, portant les numéros 1 et 2, seront pilotées par Descamps, Thoret et Fronval (puis Barbot après le départ de Fronval).

Peyret Tandem Alérion

Le Peyret Tandem de l'Adjudant Le Petit à Biskra Plan 3 vues Le vol à voile et l'Association française aérienne

Cette machine a été amenée par son concepteur Louis Peyret en personne. Il s'agit d'un deuxième exemplaire, tout neuf, puisque le n° 1 est à Vauville avec Maneyrol.
Envergure 6,3 m pour une surface de 14,60 m2 et une longueur de 5 m. Masse à vide de 70 kg environ.Chacune des ailes rectangulaire est dotée d’aileron sur toute l’envergure. Ces quatre ailerons sont conjugués : en tangage les ailerons avant s’opposent aux ailerons arrières. En roulis les ailerons du même côté se braquent dans le même sens.
Il sera piloté (et cassé) par l’Adjudant Le Petit.

Hanriot HD-14

Hanriot HD-14 [collection Pierre Bregerie, 5]
Bien qu'il ne s'agisse pas d'un planeur, on ne peut pas ne pas parler du Hanriot HD-14 du Lieutenant Thoret, qui a joué un si grand rôle dans ce concours.
Biplan biplace d'entraînement, équipé d’un moteur Le Rhöne de 80 CV, de masse à vide 520 kg, et de plus de 600 kg en ordre de vol monoplace.
LES VOLS

* Le Commandant Brocard, délégué de l'Aéro-Club de France, arrive à Biskra le 25 janvier (alors que Thoret, Barbot, Descamps et Le Petit sont déjà sur place) et il ouvre officiellement le concours le 26 janvier 1923. 
Il est prévu qu’il se termine le 6 février, mais il sera prolongé comme on le verra plus bas.
Trois jours avant l’ouverture, le 23 janvier, on avait appris que Lucien Bossoutrot a battu le record de durée de Maneyrol, à Dannes-Casniers (près de Boulogne sur Mer). Sur son Farman Moustique il porte ce record à 3 h 31 mn.

Le planeur de Saint-Aubin serait en route vers Biskra; peut-être son aile déformable y permettrait-elle sinon des performances, au moins des expériences intéressantes, s'il pouvait résister aux brutalités atmosphériques de là-bas.
Dans les jours qui précédèrent l'ouverture du meeting, le lieutenant Thoret emmena sur son Hanriot, à plusieurs reprises, l'adjudant Descamps et M. Barbot. Il réussit avec eux de beaux planements qui leur permirent une parfaite "reconnaissance du terrain". Au cours d'un de ces vols, qui dura 55 minutes, l'adjudant Descamps prit de très intéressantes photographies.


Le djebel Ed Delouatt photographié par François DESCAMPS, passager de Joseph THORET [11]

* Le Commandant Brocard, délégué de l'Aéro-Club de France, arrive à Biskra le 25 janvier (alors que Thoret, Barbot, Descamps et Le Petit sont déjà sur place) et il ouvre officiellement le concours le 26 janvier 1923. 
Il est prévu qu’il se termine le 6 février, mais il sera prolongé comme on le verra plus bas.
Trois jours avant l’ouverture, le 23 janvier, on avait appris que Lucien Bossoutrot a battu le record de durée de Maneyrol, à Dannes-Casniers (près de Boulogne sur Mer). Sur son Farman Moustique il porte ce record à 3 h 31 mn.

Le planeur de Saint-Aubin serait en route vers Biskra; peut-être son aile déformable y permettrait-elle sinon des performances, au moins des expériences intéressantes, s'il pouvait résister aux brutalités atmosphériques de là-bas.
Dans les jours qui précédèrent l'ouverture du meeting, le lieutenant Thoret emmena sur son Hanriot, à plusieurs reprises, l'adjudant Descamps et M. Barbot. Il réussit avec eux de beaux planements qui leur permirent une parfaite "reconnaissance du terrain". Au cours d'un de ces vols, qui dura 55 minutes, l'adjudant Descamps prit de très intéressantes photographies. [11]
 
* Les quatre premiers jours, il n’y a pas de vent, et aucun vol ne peut être tenté.

*  29 janvier
Alors que les planeurs sont toujours cloués au sol à Biskra, une autre nouvelle arrive de France : Alexis Maneyrol a repris son bien en réalisant à Vauville un vol de 8 heures 3 minutes ! Il volait sur le tandem Peyret Alérion.


Le Lieutenant Thoret au dessus du djebel Ed Delouatt, sur l'un des Dewoitine P-3 (photo S.A.F.A.R.A.) [8]

* 30 janvier
            Le vent se lève enfin à 10 h du matin.
- A 10 h 50 Thoret s’envole de la plateforme avec l’un des deux P-3, et commence ses évolutions, à 100 mètres environ au dessus de son point de départ, allant et venant le long de la ligne des crêtes.

- A 13 h 12, il est toujours en l’air lorsque Descamps sur l’autre P-3 s’envole à son tour et vient le rejoindre. Les deux pilotes poursuivent leur vol côte à côte jusqu’à 14 h 44. A ce moment Thoret vient se poser devant les tribunes sur le champ de courses de Beni-Mora, près de Biskra, à 5 kilomètres de son point de départ. Il a volé 3 heures 54 minutes, et sera monté à plus de 400 mètres au cours de son vol.

- Descamps continue son vol jusqu’à 16 h 59, puis il atterrit pour ne pas voler de nuit. Il a tenu l’air durant 3 h 47 mn.

- Georges Barbot sur le Dewoitine P-2 effectue ce même jour deux jolis vols d’une dizaine de minutes chacun. Mais le vent n’était pas assez fort pour permettre à son planeur plus lourdement chargé que ceux de Thoret et Descamps de tenir l’air. 


Alfred Fronval prêt à décoller sur l'un des deux Dewoitine P-3
A gauche de face, le Commandant Brocard, commissaire du concours, délégué de l'Aéro-Club de France [1]

* 31 janvier
            - Georges Barbot s’envole à 8 h 23 du matin avec le Dewoitine P-2 à ailes souples. L’appareil monte immédiatement à 200 mètres au dessus de son point de départ et commence la ronde qui va durer jusqu’à près de 5 heures du soir.
Le vol se passe dans des conditions très difficiles (grand froid et fortes turbulences).

            - A 8 h 29, l’Adjudant Descamps prend le départ sur un Dewoitine P-3. Plus léger que l’appareil de Barbot, son planeur semble plus secoué encore dans les violents remous. vole 4 h 11 min 20 s. Il vole de conserve avec Barbot, dans des conditions très difficiles. Les deux appareils sont très secoués. A 12 h 41, Descamps fortement indisposé, et même carrément malade, est contraint d’atterrir : il a volé 4 h 11 mn 40 s.

            - Barbot tient toujours. Il suit sur sa montre la marche si lente des aiguilles. Huit heures en l’air, puis une demi-heure après le record du monde de durée établi deux jours avant par Maneyrol à Vauville (8 h 23 min) est battu. A 16 h 59 mn 53 s Barbot se pose, épuisé. Il faut l'extraire de sa machine. Il bat le record de durée avec 8 h 36 min 15 sec. Durant son vol il est monté à 540 mètres. Ce record ne pourra pas être homologué car, bien que le concours ait débuté depuis 5 jours, le juge officiel de l’Aéro-Club de France n’est pas encore arrivé à Biskra [il n'arrivera jamais] !
Barbot devra se contenter du Prix Quinton (vol supérieur à 5 minutes).

            - Le même jour Thoret tente un départ à 9 h du matin. Retourné par un remous, le Dewoitine P-3 est projeté contre les rochers et est très endommagé. Thoret s’en sort indemne, quoique légèrement choqué.
L'Aéronautique [11] espère que " cet accident n'éliminera pas ce pilote d'un concours à l'organisation duquel il s'est passionnément consacré depuis trois mois, aidé par MM. Gonin et Dubourg, de Biskra."
Pour se remettre de ses émotions, Thoret repart avec son Hanriot 14 qui lui convient beaucoup mieux, et emmenant un passager, pendant un quart d’heure il va voler, hélice calée, au dessus des crêtes d’Ed Delouatt.

Du 1er au 5 février, alors que l'absence de vent empêchait toute sortie des planeurs, M. Fronval et le lieutenant Thoret ont fait de nombreuses démonstrations de virtuosité; une descente en parachute Robert a eu également lieu. [11]

* 5 février
            Descamps vole 2 h 46 min. L'adjudant Descamps, parti avec l'espoir de battre les temps de Barbot, mais doit atterrir au bout de 2 h 46 min, le vent ayant faibli. Le même jour, le lieutenant Thoret, n'ayant plus de planeur à sa disposition, vole sur son Hanriot, hélice calée, plus d'une heure.

* 6 février
            Descamps vole 4 h 12 min.


François Descamps vient de décoller avec le Dewoitine P-3 n° 2.

* 7 février
            - Le vent étant fort, Descamps décide de tenter une performance en gain d'altitude. Au cours de son vol de 3 h 26 minutes, il arrive à monter à 630 mètres (altitude absolue), en compagnie d’un faucon. Il bat le record du monde d'altitude, et remporte du donc le prix d’altitude.

            - Barbot avec le Dewoitine P-2 pris par une violente turbulence s’écrase sur la paroi rocheuse. L’appareil reste accroché quelques instants aux rochers, permettant au pilote de se dégager, indemne. Puis le planeur dévale la pente et est très gravement endommagé. Barbot volera les jours suivants avec le Dewoitine P-3 n° 1.

            - Fronval, après quelques vols de une à deux minutes, déclare forfait et rentre à Paris. Il laisse à Barbot le P-3 n° 1 qui pourra ainsi continuer à participer au concours.

Pendant les jours qui suivirent, aucun vol significatif ne fut rapporté par les observateurs en raison d'une période de vent trop faible.


L'Adjudant Le Petit part avec le Peyret Tandem (photo S.A.F.A.R.A.) [8]

* 12 février
            L’Adjudant Le Petit décolle avec le Peyret qu’il essaie pour la seconde fois seulement. Il gagne de la hauteur, dépasse la crête mais est entraîné dans les turbulences sous le vent de la crête. Le planeur très secoué fait un tonneau et s’écrase sur le nez, heureusement sur une petite zone sablonneuse. Planeur détruit, Le Petit blessé à la cheville évacué sur un brancard..
Ne restent plus en lice que Barbot et Descamps, et un seul planeur, un Dewoitine P-3 en état de vol.

* 21 février
            Le concours a été prolongé par les organisateurs. (NdR : Si mes comptes sont bons, il ne reste plus que le Dewoitine P-3 n°1 en état de vol !)
            - Descamps tente un vol de distance, en direction du nord-est. Il se pose à Beni-Mora, à 5 km de son point de départ.
            - Barbot choisit, lui, de partir vers le sud. Pris dans un rabattant à 4 km de son point de départ, il est contraint de se poser vent arrière, et casse le planeur.
Le concours est terminé : Il n'y a plus aucun appareil en état de vol !


Décollage d'un Dewoitine P-3
BILAN

A la fin du concours, il n'y a plus de machine en état de vol, mais tous les records de l'époque ont été battus.
Seul l'Adjudant Descamps termine sans casse. Il est le grand vainqueur du concours et remporte 3 prix :
- Le prix de la ville de Biskra pour la plus grande durée cumulée de vol avec 21 heures 48 minutes 53 secondes. Barbot est second de cette épreuve et Thoret troisième.
- Le prix du Maréchal Lyautey, pour la plus grande distance parcourue en ligne droite, avec 5152 mètres, de justesse car il n’a excédé le minimum imposé que de 150 mètres !
- Le prix de la Résidence de Tunis pour la plus grande hauteur atteinte au dessus du point de départ, avec 540 mètres (c’est le nouveau record du monde qui sera homologué par la FAI, (Fédération Aéronautique Internationale) en juin 1923, avec une valeur de 545 mètres).
Georges Barbot reçoit le prix du plus long vol (8 h 36, meilleure performance mondiale, mais non homologuée).
Le prix du gouverneur général de l’Indochine ne sera pas attribué, les casses et les conditions météo n’ayant pas permis de tenter de vol de distance en terrain plat.

Même si à certains égards cette compétition peut sembler décevante, il n'en demeure pas moins que l'objectif a été pleinement atteint : tous les records ont été battus par les pilotes français sur des planeurs français, dans des conditions souvent très difficiles.
Dans trois domaines, les enseignements sont clairs :
1- La technique du vol de pente est bien assimilée. Descamps, instruit par le maître Thoret avant le concours, a prouvé la valeur des conseils de ce dernier. Quelques accidents ont démontré les dangers de méconnaître certains principes. Une révélation fut la hauteur à laquelle le courant ascendant se manifeste : on ne supposait pas qu'il puisse atteindre 500 mètres au dessus du relief.

2- Les planeurs sont légers et souvent trop fragiles, et pas toujours bien adaptés aux conditions difficiles du site. Bien que très expérimentés l'un et l'autre, Barbot et Thoret ont eu des problèmes avec leurs planeurs, alors qu'avec son lourd et robustre Hanriot, Thoret n'a eu aucun ennui.

3- Le site de Biskra n'était pas aussi confortable que les collines de la Rhön ou les puys de Combegrasse, mais le choix de Thoret était justifié puisqu'il a permis de réaliser les performances recherchées, avec seulement cinq pilotes .ne l'oublions pas. L'Algérie offre des régions où des performances exceptionnelles peuvent être réalisées, mais elles se situent à proximité du Sahara où les conditions de vie et de sécurité sont précaires. [1]

La revue Les Ailes n° 98 du 3 mai 1923, présente le rapport rédigé par le Commandant Brocard, commissaire général du concours de Biskra en ces termes
« Des expériences de Biskra, il se dégage des conclusions pratiques applicables à toute l’aviation... »
Le Commandant Brocard, commissaire général du meeting de Biskra, a établi un rapport sur cette manifestation, rapport destiné au Sous-Secrétariat de l'Aéronautique et à l'Aéro-Club de France. L'Aérophile le publiera in-extenso ou presque, dans son prochain numéro.
Après avoir fait l'historique du meeting, après avoir exposé les difficultés de l'organisation et les magnifiques résultats obtenus par les pilotes présents, le substanciel rapport du Commandant Brocard dégage les conclusions de ces expériences qui "ont présenté un passionnant intérêt".


Voici quelques extraits de ce rapport [1],[8] :

Des expériences de Biskra, il se dégage des conclusions pratiques applicables à toute l'aviation. II faut d' abord poser nettement le problème. II ne s' agit pas de savoir sî un avion sans moteur deviendra un jour un instrument de locomotion pratique, discussion qui a fait l'objet de polémiques de presse plus ou moins sérieuses.
Tout oiseau comporte d'abord un planeur, avec lequel il utilise merveilleusement les forces encore peu connues de l'atmosphère, puis un moteur, avec lequel il fait battre ses ailes quand les forces motrices extérieures lui font défaut. Il s'agit donc :
1°) De rechercher et d'étudier les forces inconnues de I'atmosphère, dues aux vents, à la chaleur, aux courants permanents ou momentanés, ou à d'autres causes, autrement dit de faire, en vraie grandeur, des expériences de laboratoire à l'aide de tous les moyens que la science a mis à notre disposition : ballons, cerfs-volants, services météorologiques, instruments de précision, avions avec moteur ou avions sans moteur, etc.
2°) De rechercher les meilleures formes et (ce qui est peut-être aussi important), les meilleures dimensions des planeurs susceptibles de tirer de ces forces le rendement maximum.
...
3°) Enfin de tirer dès maintenant des expérîences faites des conclusions pratiques applicables à I'aviation à moteur existante ou mêrne à l'aviation sans moteur à créer.
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Ces expériences affirment une fois de plus, la nécessité de constuire des avionsexrêmement maniables, capables de se défendre avec une grande facilité et sans effort
dans un air constamment agité, capables aussi d 'être sensibles, sans nervosité, aux moindres manifestations de l'énergie atmosphèrique.
Faudra-t-il des ailes très souples, à gauchissement puissant et à changement d'incidence ? - C'est la solution que je préfère - Obtiendra-t-on mieux avec des ailes rigides et des grandes surfaces mobiles ? Vauville d'abord, d'autres manifestations ensuite, conduiront à la vérité.
Il faut tirer des conclusions pour répondre à la question : A quoi sert le vol à voile ?
Conclusions pratiques
Tous les aviateurs connaissent l'existence des courants ascendants et descendants, mais nul n'en connaissait véritablement la force ou le danger ou la dimension..
En Algérie où les vents dominants sont nord-ouest, les chaînes de montagnes sont orientées nord-est/sud-ouest, donc productrices d'une zone ascendante qui s'étend, presque sans coupure, sur des centaines de kilomètres. Il est certain que tout avion de tourisme ou de transport public quels que soient sa vitesse et son poids, utilisant cette zone pour se déplacer, économisera, sur certaines branches de son parcours de 20 à 50 % de sa consommation.
L'apprentissage
Emmener en double commande des élèves pilotes sur des courants ascendants, pendant de longues heures, donne l'habitude de l'air et apprend à voler. Le procédé est susceptible de rendre de grands services, aussi bien par l'économie réalisée, que par l'expérience acquise, dès le premier jour de vol, du vent et des remous.Mais il paraît excessif d'en espérer une méthode complète d'apprentissage, et il est peut-être exagéré de compter trop sur les alérions sans moteur, dont les départs sont délicats, alors que des avions-écoles à moteur, double commande, plus légers certes que les avions actuels, permettront le même travail, la même économie, dans des conditions de sécurité plus grande, d'apprentissage complet.
Le sens de l'air
Le vol sans moteur, remarquable école de perfectionnement, " enseigne l'atmosphère", donne le sens de I'air, apprend conment on participe à ses mouvements, sans nécessairement se battre avec eux, comrnent il est généralement nuisible, sur un avion à moteur pris dans le mauvais temps, de se défendre en donnant toute la puissance, ou même en piquant pour en obtenir davantage, comme enfn iI faut être souple de réflexes, de mouvements, et même de volonté, pour être véritablement un oiseau en harmonie aaec son élément.
Ces années de début du vol à voile sont donc une étape du progrès aéronautique aussi importante que les voyages aériens des premières années. Au point de vue scientifque, elles ouvrent des horizons nouveaux. Au point de vue national, elles contribuent à accélérer la naissance de I'aviation de tourisme, nécessaire à I'entraînement des rnilliers de pilotes dont dépend en partie notre sécurité. C'est pourquoi il faut être reconnaissant aux quelques pilotes qui à Conbegrasse, en Angleterre, sur les rochers de Biskra ou à Vauvville, ont fait leur dangereux effort avec la foi dans l'avenir.

QUESTIONS EN SUSPENS

La documentation consultée laisse certains points dans l'ombre, en particulier
- Qui, et à quelle date, a commencé à parler de l'organisation d'un concours en Algérie ?
- Pourquoi dans la région de Biskra ?
- A la fin du concours, le 21 février, pour leurs tentatives de vols de distance, Descamps et Barbot ont-ils volé sur le même planeur, ou les deux Dewoitine P-3 étaient-ils en état de vol ? D'après les compte-rendus, le n°2 a été cassé par Thoret dès le 31 janvier. Aurait-il été réparé et remis en état de voler ?
Etc.

RÉFÉRENCES
[1] Le vol à voile en Algérie, 1862-1962, par Charles Rudel et Pierre Jarrige, auto-édition Pierre Jarrige, 1998
[2] Le concours de Biskra, la révélation, par Pierre Vaysse, Vieilles Plumes n° 12 automne 2001, FFVV 2001
[3] Le vol à voile, par Robert Kronfeld, Gauthier-Villars Paris 1935
[4] Vauville berceau du vol à voile, par Laurent Lefilliatre, 2002
[5] Site 1000 Aircraft Photos, Hanriot HD-14 http://1000aircraftphotos.com/index.html
[6] Site Citroenet.org, autochenilles Citroën-Kégresse  http://www.citroenet.org.uk/utilities/autochenille/autochenille.html
[7] Histoire du vol à voile français, par Réginald et Anne Jouhaud, Cepadues 1992
[8] Histoire du vol à voile de 1506 à nos jours par Éric Nessler, Les Oeuvres françaises 1946
[9] La TUNISIE s'intéresse à son tour au vol à voile , Le Matin, 24 novembre 1922 [via Christian Noël]
[10] 1922-1923, Biskra, premiers exploits par Jacques Marceau, Vieilles Plumes n°+ 14 "Thoret Mont-Blanc", printemps 2003
[11] Les planeurs à Biskra, L'Aéronautique n° 45, février 1923, Gallica BNF
[x] Flight octobre 1922
[x] Flight, 11 janvier 1923
[x] Flight, 1 et 8 février 1923
[x] Flight, 22 février et 8 mars 1923
[x] Flight, 28 juin 1923, homologation du record d'altitude de François Descamps à Biskra
Page mise à jour le 20/10/2023
Des vieilles toiles aux planeurs modernes © ClaudeL 2003 -