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IVe Congrès de Vauville (1928)
 

 

LA MISE SUR PIED DU CONCOURS
L’Association française aérienne (A.F.A.) a organisé du 12 au 26 juillet 1928, sur son terrain de Vauville, le IVe Meeting International d'Aviation sans Moteur. En effet elle était déjà à l'origine des concours de Combegrasse en 1922, puis de Vauville en 1923 et 1925. Ce concours dont le nombre de participants fut très limité, a été marqué par la présence des meilleurs pilotes allemands, impressionnants avec leurs machines à la pointe des recherches et techniques de l'époque,



 

LES INSCRIPTIONS

La cloture des inscriptions est annoncée dans le journal Les Ailes n° 365 du 14 juin 1928 sous le titre
Les « as » allemands du vol à voile vont voler à Vauville…
C'était lundi la clôture des engagements à droit simple pour le Concours d'Aviation sans Moteur de Vauville. Comme on s'y attendait, l'Allemagne s'est inscrite au concours et elle y sera représentée brillamment. Les trois grands « as » du vol à voile, ceux qui détiennent les records les plus enviés de distance et de durée, Kegel, Nehring et Schultz participeront au meeting. Ça promet ! Deux appareils seront à la disposition de Max Kegel et Karl Magersuppe : un monoplan de 16 m d'envergure (16 m2 de surface) et un autre monoplan de 17 m d'envergure (18 m2). L'appareil de Nehring aura également 18 m d'envergure pour une surface de 16,5 m2 seulement. Cela annonce un bel allongement. Schultz montera un monoplan d'une envergure de 14,5 m et d'une surface de 16 m2 pesant à vide 110 kg. [NdR : Schultz ne viendra pas à Vauville] Enfin Hirth disposera d'un monoplan de 16 m2 d'une envergure de 15 m. Tous ces appareils sont des monoplaces.
Devant la valeur des pilotes et la qualité des planeurs, il n'est pas besoin d'insister davantage sur l'intérêt de la participation allemande. Si du 12 au 26 juillet les conditions atmosphériques sont favorables au vol à voile, on peut prévoir des performances retentissantes.
Et du côté français ? La vérité est qu'on n'a pas enregistré l'effort qu'on attendait de nos constructeurs… Évidemment, il n'est pas trop tard. En un mois, une firme bien outillée peut sortir un planeur excellent. Il le faudrait. Sinon, nous assisteront sans aucun doute à un succès allemand. Cependant, la participation d'Alfred Auger avec deux appareils Abrial, autorise de sérieux espoirs. Nous reverrons le Vautour dont la valeur est connue, et un nouvel appareil de performances d'une envergure de 16 m pour une surface de 16 m2 actuellement en construction, et qui pourrait bien être une révélation. De plus, outre le planeur Guilbaud dont l'engagement a déjà été annoncé, on a reçu deux autres inscriptions qui portent à cinq le nombre des planeurs français.
C'est d'abord le planeur Verseau-Belhumeur, monoplan de 12 m d'envergure, de surface 18 m2 pesant à vide 64 kg ( ? illisible).
C'est ensuite le planeur Savoyas qui, malgré une envergure de 13,10 m n'a pas moins de 30 m2. Il faudra voir ces appareils pour pouvoir les juger.
En définitive, la liste des inscriptions au 11 juin s'établit comme suit :

Numéro Nom d'inscription Type d'appareil Pays
1 Charles GUILBAUD   France
2 Laurent SAVOYAS Hirondelle France
3 VERSEAU-BELHUMEUR   France
4 Rhön-Rossiten- Gesellschaft Württemberg Allemagne
5 Rhön-Rossiten- Gesellschaft Stadt-Stuttgart Allemagne
6 Rhön-Rossiten- Gesellschaft Kegel I Allemagne
7 Rhön-Rossiten- Gesellschaft Darmstadt II Allemagne
8 Rhön-Rossiten- Gesellschaft   Allemagne
9 Alfred AUGER Abrial Vautour France
10 Alfred AUGER Abrial Rapace France

Cette liste n'est pas définitive, puisque les engagements à droit double (200 francs par appareil) peuvent encore être envoyés à l'A.F.A. jusqu'au 2 juillet à 13 heures.
Remarque : - Le type du planeur ne figurait pas dans l'article des Ailes.
- L'appareil Verseau-Belhumeur ne viendra pas, et le numéro d'inscription 3 sera finalement attribué au Kegel II (le n° 8 n'étant plus attribué).

- Charles Guilbaud arrivera à Vauville le jeudi 26 juillet, jour de cloture du concours, et il était prévu que son appareil arrive à Cherbourg, le soir. Mais on n'a pas plus d'informations.


LES PILOTES

Alfred AUGER
Laurent SAVOYAS
Wolf HIRTH
Max KEGEL
Karl MAGERSUPPE
Johannes "Bubi" NEHRING
Erich BACHEM
PROTZEN


 


LES MACHINES

La participation à ce concours fut très limitée et les machines présentes peu nombreuses. Dans l'ordre des numéros d'inscriptions on a vu sur le terrain de Vauville :

Savoyas Hirondelle : préparatifs pour une tentative de décollage
[Der Segelflug, KLEFFEL Walther (1930), coll. J.-M. Mesot]

Hirondelle (N° 2)

Envergure 13,10 m et surface 30 m2.
Appareil conçu et construit par Laurent SAVOYAS, il tenta de décoller à deux reprises le dimanche 15 juillet, mais sans y parvenir. Il fut cassé lors d'une nouvelle tentative de qualification pour le concours, le samedi 21 juillet.

 


Le Kegel II au décollage à la Wasserkuppe durant le concours de la Rhön 1928, quelques semaines après le concours de Vauville.

Kegel II (N° 3)

Dans ses articles des "Ailes", Georges Houard appelle ce planeur "Kassel". Mais Peter Reidel le nomme Kegel II [7]. Envergure 18 mètres.

Planeur tout neuf quand il arrive à Vauville, construit par Max Kegel dans son entreprise Kegel Flugzeugbau de Kassel.

Württemberg (N° 4)

Dessiné par Paul LAUBENTHAL et construit par l'Akaflieg de Darmstadt.

Planeur de Wolf Hirth qui sera le grand vainqueur de ce concours.


Passage bas du Stadt-Stuttgart sur le terrain du Camp Maneyrol.

Stadt-Stuttgart (N° 5)

Ce planeur n'est pas un modèle particulier, mais un exemplaire du Westpreussen de Kegel, très vraisemblablement construit par sa firme Kegel Flugzeugbau, à Kassel, pour l'Akaflieg de Stuttgart, qui l'a baptisé Stadt-Stuttgart.

A Vauville, le planeur fut piloté par Erich Bachem et Protzen.


Décollage du Kegel pendant le concours de Vauville

Kegel I (N° 6)

On le trouve aussi sous le nom "Kegel-Kassel" dans les sources documentaires. Il est aisément reconnaissable par la forme de son volet de dérive.

C'est le planeur allemand le plus ancien du concours, puisqu'il date de 1925. C'est avec lui que Max Kegel a réalisé le premier vol dans l'ascendance thermique d'un front orageux durant le concours de la Rhön en août 1926 (battant par la même occasion le record de distance en parcourant plus de 55 kilomètres).


Le Darmstadt II au décollage à la Wasserkuppe pendant le concours de la Rhön 1930.

Darmstadt I I (N° 7)

En 1928, le planeur le plus récent de l'Akaflieg de Darmstadt était le D-19 Darmstadt. Mais cette machine avait été cassée à l'atterrissage par le pilote Hesselbach (voir où et quend ?). Afin de pouvoir participer au concours de Vauville, la construction d'un nouvel appareil similaire fut immédiatement entreprise, la seule modification importante apportée par rapport au Darmstadt I étant l'augmentation de 2 mètres de nl'envergure.
Planeur


Le Vautour en vol, piloté par Alfred Auger, durant le concours de Vauville 1925.

Abrial Vautour (N° 9)

On connait déjà le Vautour qui avait avait brillé ici même à Vauville, aux mains d'Alfred Auger, durant le concours de 1925.

C'est le planeur le plus ancien puisqu'il date de 1925. Toujours piloté par Alfred Auger, il ne put rien face à l'écrasante supériorité des machines amenées par le allemands.


Le Rapace est ici photographié à la Banne d'Ordanche.

Abrial Rapace (N°10)

Planeur dessiné par Georges Abrial et construit dans les Atelier Letord. Il est très fortement inspiré de l'appareil de l'Akaflieg de Darmstadt (Darmstadt I).
Envergure 16 m.

Le nouveau planeur dessiné par Georges Abrial ne sera pas prêt à temps pour participer,il n'arrivera à Vauville que le dimanche x août, jour de cloture.

   
LE DÉROULEMENT DU CONGRÈS

Les articles de Georges Houard publiés dans l'hebdomadaire "Les Ailes" sont ici retranscrits sans modification.

 

Les premières journées de Vauville
Les Ailes n° 370, jeudi 20 juillet 1928

Ces lignes sont écrites aux premières heures du concours, sur le terrain même. Le temps est splendide… Cela veut dire qu'aucun vol n'a encore eu lieu et que le concours ne pourra effectivement commencer qu'avec le vent d'Ouest, annonciateur du mauvais temps. C'est égal. Ce premier contact avec les concurrents allemands valait, à lui seul, la montée au camp Maneyrol. Quatre planeurs sur les cinq engagés par la Rhön-Rossiten-Gesellschaft sont arrivés et la vingtaine d'allemands qui sont ici procèdent, sur le terrain, à leur montage. Ces appareils ne nous ont pas déçu ; ils sont bien tels que nous l'imaginions, c'est-à-dire qu'ils situent admirablement la technique allemande. Tous procèdent de la même formule : monoplan sans hauban, à grand allongement. L'allure est élégante ; les lignes sont fines. On a l'impression que la formidable finesse de 20, à laquelle serait arrivé le nouveau planeur de Kegel, notamment, est bien réelle. Parmi ces appareils, si remarquables, le planeur de Kegel apparaît plus remarquable encore ; ce n'est plus un avion, c'est une aile, une aile admirablement pure, de 18 mètres d'envergure, qui soutient un fuselage fin et étroit, pur comme l'aile elle-même. On conçoit qu'il ne faille pas une ascendance bien forte pour soutenir cette machine et permettre à son pilote d'accomplir des performances qui surprendront. L'appareil doit être piloté au concours par Max Kegel et aussi par un autre aviateur, Karl Magersuppe, moins connu en France que le précédent, mais qui est aussi un pilote de valeur. En 1927, en partant de Dornberg – qui est le terrain de vol à voile de Kassel – Magersuppe a volé 2 h 10 min. Kegel et Magersuppe disposent d'ailleurs à Vauville d'un autre planeur, intéressant, lui aussi, quoique beaucoup plus ancien, celui avec lequel Kegel, en 1926, a battu le record mondial de distance en parcourant 56 kilomètres. Les deux autres planeurs allemands, présents à Vauville, auraient suscité notre admiration si le planeur de Kegel n'avait pas été là. C'est d'abord le Stadt-Stuttgart que piloteront alternativement Protzen et Bachem, et le Wurttemberg que montera Hirth. Ce sont également de très belles machines, au fuselage en contreplaqué, à l'aile sans hauban. Il n'est pas douteux qu'avec de tels engins, un pilote entraîné doit faire des choses extraordinaires. Un cinquième appareil allemand doit arriver dans le courant de la semaine. Nous ne savons encore ce qu'il sera, mais, comme il s'agit d'un planeur nouveau, on peut s'attendre à ce qu'il soit intéressant. Du côté français, hélas, nous n'avons encore à opposer aux avions allemands que le Vautour Auger-Abrial. Si, au précédent concours, cet appareil nous semblait le « fin du fin », la présence des allemands nous incite à être plus sévère dans notre jugement. Le Vautour est certes un appareil de valeur, mais jusqu'à preuve du contraire, nous pensons qu'il doit, en effet, lui être difficile de lutter contre les pures machines d'Outre-Rhin. Nous attendons, avec l'espoir au cœur, le nouveau planeur qui est construit pour M. Auger, sur les plans d'Abrial, dans les ateliers Letord, sous la direction de Louis Peyret, mais cet appareil ne doit être terminé que dans le courant de cette semaine. Le planeur Savoays est annoncé, mais, malgré l'effort louable accompli par son constructeur, nous ne croyons pas qu'on puisse compter sur lui pour atteindre à la qualité des machines allemandes. Enfin de Guilbaud et de Verseau-Belhumeur, autres représentants français, pas de nouvelles. Par conséquent, à ce jour, le Vautour Auger-Abrial est seul pour lutter contre quatre appareils allemands d'une qualité tout à fait supérieure. Le résultat de la lutte ne paraît pas faire de doute.
***
Auger, Abrial et leur Vautour sont arrivés les premiers, mardi soir, par la route. Le Stadt-Stuttgart et le Wurttemberg sont arrivés par chemin de fer. Il faudra compter un jour les difficultés qu'ont eues les organisateurs pour sortir ces avions des mains de la Douane… Ce sera toute une histoire qui a mis à dure épreuve le dévouement et la persévérance de MM. Sadot et Macé qui, à Cherbourg, ont assumé entièrement l'organisation du Concours. Les deux autres planeurs allemands sont arrivés par la route, l'un tiré, en remorque, par une petite voiture Dixi, l'autre amené par un camion. Le camion Henschel, chargé du planeur et de toute une équipe – le « team » allemand est composé à Vauville de plus de 20 personnes ! – est venu de Kassel à Vauville, via Paris, soit 1400 km….
Tout s'organise au camp Maneyrol. Le représentant du Ministre de la Guerre, le Capitaine Leparmentier, ceux du S.T.I.Aé, MM. Suffrin-Hébert et Lapresle, le Capitaine Le Petit et deux météorologistes de l'O.N.M. sont là. Un officier a été délégué par l'École d'Istres pour suivre les épreuves en vue de l'entraînement des pilotes militaires à la navigation dans les courants ascendants. Une petite armée d'opérateurs cinégraphistes a déjà braqué ses objectifs sur les planeurs. La voiture-chenille Citroën rend, dès à présent, les plus grands services…
Il n'y a plus que le vent d'Ouest qui fait défaut… Patientons. Il finira par souffler et l'Association Française Aérienne remportera, une fois de plus, un succès mérité par ses patients efforts. Souhaitons, pour finir, que nos constructeurs se rendent compte du puissant intérêt que présente pour eux une visite à Vauville. Évidemment « ce n'est que » du vol à voile…, mais le vol à voile pourra leur révéler des choses qu'ils ne connaissent pas. Qu'ils viennent voir le planeur de Kegel… Nous ne croyons pas qu'il y ait eu, au Salon de l'Aéronautique, pour un fin connaisseur, quelque chose de mieux.
Signé George Houard


Avec photo du Kegel II (n°3) (on aperçoit ce qui est vraisemblablement le bas du 3 peint sur le volet de dérive)
C'était le dernier planeur de Max KEGEL, construit dans son entreprise de Kassel

Vauville Le IVème meeting international d'aviation sans moteur Les pilotes allemandes, par vent faible, réussissent des vols sensationnels
Les Ailes n° 371, jeudi 27 juillet 1928

Du vendredi 13 au lundi 16 juillet
Toujours peu ou pas de vent… Il faut attendre… Attendre avec l'espoir que le vent d'Ouest se décidera à favoriser ce concours.
Le Vendredi 13, - date fatidique – deuxième jour de la manifestation, nous a valu cependant quelques essais intéressants. Le matin, bien que le vent fût pratiquement nul, Max Kegel, avec son planeur Kassel n° 3, a essayé de se qualifier.. Au troisième essai, il y réussit en volant 13 secondes en terrain plat, au lieu des 10 secondes imposées. Moins d'une heure après, le Vautour d'Alfred Auger réussissait, lui aussi, son vol de qualification en volant 11 secondes. Ces deux essais de modeste envergure n'en ont pas moins fourni des enseignements intéressants. Tandis que le Kassel de Kegel réussissait pendant 13 secondes que dura son vol à traverser le terrain dans sa plus grande largeur, le Vautour d'Auger en couvrait pas, en 11 secondes, le tiers de la distance franchie par l'appareil allemand. Ceci donne une idée des remarquables qualités de pénétration de ce dernier, la traction exercée au départ, par le sandow, pouvant être cconsidérée comme sensiblement la même pour l'appareil français et l'appareil allemand.
Dans le courant de l'après-midi, le vent fraîchit un peu et s'orienta dans la direction favorable. Malheureusement, en même temps que le vent d'Ouest, arriva la brume. Cela n'empêcha pas Hirth, pilote du planeur Wurttemberg n° 4 de sortir cet appareil en vue de tenter à son tour le vol de qualification imposé par les règlements. Mais, tandis que Kegel et Auger avaient effectué cet essai en terrain plat, Hirth voulut le faire en partant de la pente.


Le véhicule à chenilles Citroën-Kegresse, déjà utilisé à Vauville, en 1925.

Hirth est un pilote incontestablement très « gonflé » : il a une jambe de bois et, s'étant cassé le bras récemment, dans un accident de motocyclette, il ne quitta l'hôpital que la veille de son départ pour Vauville. C'est avec ce handicap sérieux et par des conditions atmosphériques peu fameuses qu'il prit son vol l'autre vendredi.
Le vent soufflait, irrégulièrement à une vitesse variant de 4 à 6 mètres à la seconde. On s'attendait à ce que le Wurttemberg, après un vol plané de quelque deux minutes, alla, en droite ligne, se poser sur la plage. La réalité fut toute autre. Après un départ très réussi, le planeur se fixa dans le courant ascendant, vira, puis, à belle allure, se dirigea vers le village de Vauville.
Là, nouveau virage et retour vers le camp au-dessus duquel il passa pour prendre la direction du Sud-Ouest. A cet endroit l'ascendance est coupée. Le planeur de Hirth rasa le calvaire de Biville et disparut à nos yeux. Dix minutes s'étaient alors écoulées depuis le départ. Nous attendîmes la réapparition de Hirth, mais en vain.
L'auto-chenille Citroën partit à sa recherche, ainsi que plusieurs équipiers allemands. Des marins de service furent également envoyés en reconnaissance. C'est seulement au bout d'une heure, alors que l'inquiétude commençait à poindre au Camp Maneyrol, qu'on apprit l'heureuse issus du vol. Hirth et son planeur s'étaient posés, sans mal, ni pour l'un, ni pour l'autre, à quelque 2 km 500 du Camp, dans les dunes, à 250 m en arrière de la plage. En deux voyages, la chenille Citroën ramena l'appareil, démonté, dans son hangar.
Cet incident empêcha Max Kegel qui était parti à la recherche de son compatriote de prendre le départ.
Le lendemain, samedi 14 juillet, le beau temps – le déplorable beau temps – s'opposa, en raison de l'absence totale de vent, à tout essai. Ce fut, au Camp Maneyrol, le calme complet.

Le Dimanche 15 juillet n'amena pas de changement dans l'état de l'atmosphère.
Tout de même, on assista à la qualification d'un quatrième appareil que pilotèrent successivement deux des plus sympathiques pilotes de l'équipe allemande : Bachem et Protzen. Le Stadt-Stuttgart n° 5 exécuta plusieurs petits bonds de 6, 15, 13 et 15 secondes. C'était suffisant pour assurer sa qualification.
Peu après, le planeur Hiondelle n° 2 de Savoyas, tenta à deux reprises de décoller, piloté par son constructeur, mais sans y parvenir. Celui-ci fit preuve de sagesse en n'insistant pas davantage ce jour-là.
A signaler que 3000 personnes environ défilèrent le Dimanche 15 juillet au Camp Maneyrol, dans l'espoir d'assister à des épreuves intéressantes. L'absence du vent ne permit pas de les satisfaire.
La situation resta inchangée le Lundi 16 juillet. Le faible vent d'Ouest de la matinée se transforma, vers midi, en un vent de Nord-Est qui rendait impossible toute expérience. Concurrents et officiels, armés de patience, continuèrent à attendre…
Mardi 17 et Mercredi 18
La journée du mardi 17 juillet devait être marquée par la visite officielle que firent, au Camp Maneyrol, les autorités cherbourgeoises. Comme on pouvait s'y attendre, les conditions atmosphériques s'opposèrent à tout vol. Le vent soufflait bien à 7 ou 8 mètres-seconde, mais malheureusement de l'Est. Les nombreuses personnes qui vinrent au Camp durent donc se contenter de voir les appareils à l'intérieur des hangars.
A midi 30, un déjeuner de 70 couverts réunissait visiteurs, concurrents et officiels dans le hangar Hemmerdinger, débarrassé, pour la circonstance, de ses appareils. A la table d'honneur, on remarquait la présence de MM. Appell, député de Cherbourg, Le Brettevillois, maire de Cherbourg, Lemoigne, Président du conseil général de la Manche, Quoniam, Président de la Chambre de Commerce, le Commandant Homburger, commandant le C.A.M. de Cherbourg, Adrien Nacé, Léon Menut, Dubois, de la Chambre de Commerce, Sadot et Jean Macé, les Capitaines Leparmentier , De Bonnal et Le Petit, le Professeur Georgii, Auger, Max Kegel, André Carlier, les ingénieurs Suffren-Hébert et Lapresle, Drjewiecki, l'ingénieur en chef Alayrac, les pilotes allemands et français, nos confrères de la presse cherbourgeoise, etc.
Après un excellent déjeuner, dont le menu essentiellement local fut fort apprécié des convives, on entendit successivement les discours de MM. Carlier, Georgii, Alayrac, Quoniam et Appell. Des choses excellentes furent dites. Insistons particulièrement sur le discours du Professeur Georgii, qui dirige à Vauville l'équipe allemande depuis que M. Ursinus a dû nous quitter, rappelé en Allemagne. Parlant d'abord en allemand, puis en français, le Professeur Georgii a remercié du bon accueil réservé à ses compatriotes. Il a eu la touchante attention d'évoquer le souvenir d'Hemmerdinger et de Maneyrol et de rendre hommage aux travaux d'Idrac et de Thoret. Ces paroles furent applaudies : elles le méritaient.
Le vent favorable aux vols fit défaut toute la soirée et aucun départ ne put être enregistré.
Le mercredi 18, l'espoir régna au Camp. Le vent avait tourné… Les sympathiques météorologistes de l'O.N.M., MM. Guénin et Prieur, ainsi que leur chef, le Capitaine Le Petit, nous signalèrent un vent d'Ouest Nord-Ouest de 2 mètres-sec., avec tendance à s'intensifier. Cet espoir, disons-le tout de suite, ne se réalisa pas. Le vent se maintint en direction favorable mais resta faible, trop faible pour qu'on pût réaliser des vols de durée.
Néanmoins, pour la première fois, cette année, le Camp Maneyrol allait connaître une réelle activité. Kegel, en effet faisait sortir le planeur Kassel n° 3, prenait place à bord et s'envolait sur la pente. Beau départ… Mais le vent était réellement insuffisant. Après avoir tenu l'air 5 minutes, Kegel atterrissait « en beauté » sur la plage. A noter les dernières phases du vol, où le pilote allemand survolant les petites dunes de 3 à 4 mètres de haut, sût utiliser l'ascendance produite par ces dunes pour prolonger, d'une façon nette et visible, sa très belle glissade. A plusieurs reprises, Kegel put même, au dessus de ces petites dunes, non seulement arrêter sa descente, mais même regagner un peu d'altitude. Et le vent ne dépassait pas la vitesse de 2 m.-sec. !
Kegel était à peine remonté au Camp, son appareil remorqué par la précieuse auto-chenille Citroën, qu'il prenait place au poste de pilotage du planeur n° 6 et effectuait, pour la qualification de l'appareil, un bond de 10 sec. 3/5e, chronométré par Georges Dinner, auquel le vent d'Ouest donnait enfin la possibilité d'exercer ses fonctions officielles.
Sur le même appareil, Magersuppe, avant Kegel, avait réalisé plusieurs bonds de quelques secondes.
L'exemple de Kegel allait inspirer Bachem. Celui-ci, vers 16 h. 10, partait à son tour sur le Stadt-Stuttgart n° 5 et volait, dans un très beau style, pendant 4 min. 20 secondes.
C'était ensuite Hirth, qui prenait le départ sur le Wurttemberg n° 4 pour un vol de 4 m. 10 sec.
Kegel, pendant ce temps, avait remonté son planeur Kassel n° 3 : de nouveau, il décollait, mais le vent ayant encore baissé d'intensité, il allait se poser sur la plage après seulement 3 min. 20 sec. de vol.
Enfin la journée se terminait par un impressionnant départ cabré de Protzen, sur le Stadt-Stuttgart n° 5. Il atterrissait après une glissage de 2 m. 46 sec.
A signaler encore à l'actif de cette journée du 18, l'arrivée du cinquième planeur allemand, le Darmstadt que pilotera l'as connu, Nehring. C'est un grand monoplan, dont l'aile, magnifique, a 18 mètres d'envergure, et qui, tout neuf, n'a pas encore volé.
Le jeudi 19 juillet
Enfin !... Nous avons assisté à quelques jolis vols. Dans la matinée, le vent soufflait, à vitesse réduite d'ailleurs, du Nord Nord-Est. Vers dix heures, il passa franchement au Nord et, sur le coup de midi, il tourna au Nord-Ouest. Ça commençait à devenir bon. Hélas, il ne dépassait guère 2 mètres à la seconde, avec des rafales atteignat au plus 3 mètres. Vers 14 h. 40, cependant, Max Kegel, sur planeur Kassel n° 3, se décidait à partir. Départ splendide, comme à l'habitude. Mais contrairement à l'attente générale, Kegel, au lieu de descendre vers la plage, réussissait à se maintenir sur l'ascendance. Il tournait régulièrement entre le Camp Maneyrol et le village de Vauville, ne reprenant terre volontairement qu'à 15 h. 15 m. 32 secondes, ayant tenu l'air 32 minutes 01 secondes.
On sait que l'Association Française Aérienne a supprimé du programme de cette année les vols de durée qui, dans l'état actuel de l'aviation sans moteur, ne sont plus qu'une question de constance dans la vitesse du vent et de résistance physique de la part du pilote. Elle a remplacé l'épreuve de durée par une épreuve de totalisation des vols, qui, en raison des départs et des atterrissages fréquents qu'elle implique, est infiniment plus intéressante. Kegel réussissait ainsi à se classer le premier dans cette épreuve.
Dix minutes après son atterrissage, Bachem sur Stadt-Stuttgart n° 5, prenait le départ à son tour et, comme Kegel, réussissait à se qualifier dans l'épreuve par un vol de 16 minutes 51 secondes 2/5e.
A 16 h. 31, Hirth s'envolait sur le Wurttemberg n° 4. Mais l'irrégularité du vent l'obligeait à se poser après 16 minutes 51 secondes 1/5e de vol.
Le montage du beau planeur Darmstadt n° 7 étant terminé, Nehring procédait à son épreuve de qualification où, du premier coup, il réussissait. Aussitôt après, il s'élançait sur la pente et volait 9 minutes 23 secondes. En vol, cet appareil donne une impression splendide de finesse et de maniabilité. Il doit faire vraiment de jolies choses.

 

A Vauville avec les planeurs
Nehring, sur le Darmstadt, franchit plus de 25 kilomètres

Le 20 juillet Au Camp Maneyrol, tout le monde est là, de bonne heure. Le vent, dans la matinée, souffle encore du Nord-Est, mais le Capitaine Le Petit et ses deux actifs collaborateurs, Guenin et Prieur, étaient formels : le vent allait tourner à l'Ouest, et les vols pourraient commencer.
A 8 h. 30, arrive au Camp venant de Paris, M. Maurice Kahn, directeur technique du C.F.P.Aé. La veille il a téléphoné à l'O.N.M. pour connaître les prévisions : « Partez sans crainte, lui dit-on, demain on volera à Vauville ». Rendons hommage à l'O.N.M. : il ne s'est pas trompé. Nous allions avoir une journée magnifique.
A 10 h. 15, le vent s'oriente nettement au Nord-Ouest, puis à l'Ouest. Nehring n'attend pas davantage ; il fait sortir son Darmstadt et s'envole à 10 h. 27 min. 42 sec. Le vent est encore trop faible et souffle trop obliquement. Il ne peut tenir que 9 minutes 14 secondes. Néanmoins, ce vol est un des plus remarquables auxquels nous ayons encore assisté. Nehring ne pouvant s'accrocher à la colline, part vers la mer, atteint les dunes et là – à 3 ou 4 mètres au-dessus de celles-ci – se dirige vers le Sud. Il atterrit après avoir couvert, dans ces conditions, plus de 4 kilomètres. Nous croyons avoir dit déjà que ces dunes elles-mêmes n'avaient pas plus de 3 à 4 mètres de haut ; si l'on ajoute que le vent, au cours de ce vol, n'atteignait pas 3 m.-sec., on se rend compte de la finesse extraordinaire de la machine qui a permis la réalisation d'une pareille performance.
Kegel, à son tour, voulut partir. Mais le vent avait baissé. Après 6 minutes de vol, Kegel atterrit dans les marais où il cassa complètement la queue de son appareil. Cette casse devait fournir une démonstration éclatante des qualités de l'équipe allemande. En 18 heures de travail, M. Ackermann, un ingénieur de l'équipe, réparait, à lui seul, le stabilisateur brisé…
Après le déjeuner, le vent étant devenu meilleur, les quatre autres planeurs allemands étaient amenés sur la piste et tous successivement s'envolaient. On assista au très beau spectacle de trois machines volant à la fois dans un ciel admirablement pur. Départs parfaits ; atterrissages en beauté ; la plupart vent arrière. Certains pilotes – Hirth en particulier – effectuèrent des virages loin en arrière de la crète, qui les amenaient à la verticale du hangar Hemmerdinger ; de là, ils piquaient sur le terrain, passant à 4 ou 5 mètres au-dessus de la crète et repartaient, par une montée en chandelle, dans le vent ascendant. C'était réellement de toute beauté. L'altitude était variable, suivant la vitesse du vent et le type de planeur. On enregistra des hauteurs au-dessus du point de départ de 250 mètres, soit près de 350 mètres d'altitude. Ces résultats sont d'autant plus dignes d'attention que le vent a toujours été inférieur à 6 mètres, et que la moyenne ne dépassa guère 4 m. à 4 m. 50. C'est le triomphe de la finesse, de l'aile pure. « Que nous importe le poids, nous disait un allemand, du moment que nous avons la finesse ». Et comme c'est bien vrai : les planeurs allemands portent de 11 à 14 kg au mq. Ils tiennent par des vents insignifiants, alors que le Vautour d'Auger, qui n'est pas chargé à plus de 8 à 9 kg, attend, pour s'envoler les vents de 8 mètres qui sont pour lui un minimum.
Tous les vols de cette journée furent de premier ordre, mais la performance sensationnelle a été celle de Nehring. A 16 h. 04 min. 11 sec., il prenait le départ sur son planeur Darmstadt. A plus de 200 mètres au-dessus de nos têtes, il croisait d'abord pendant 30 minutes pour s'assurer un point dans l'épreuve de totalisation. Puis sa demi-heure accomplie, alors que nous nous attendions à le voir atterrir, il s'éloignait au contraire, vers le Sud, à belle hauteur. Tous les regards se fixèrent, dès ce moment, sur l'appareil qui, rapidement, ne fut plus qu'une tache minuscule dans le ciel bleu. Nous le vîmes naviguer, au loin, vers le cap de Dielette que, par une manœuvre splendide, il réussit à contourner. Vers 16 h. 45, il disparut à nos yeux. Il était près de 18 heures quand le téléphone nous apprit que Nehring avait atterri à 17 h. 10, à Daubigny, un peu au nord de Carteret. En dépit de la faible vitesse du vent, Nehring avait couvert plus de 25 kms, pulvérisant le record de Thoret qui était de 8 kms 500 ! La performance se passe de commentaires.
Au total on vit dans cette journée du 20 juillet, 14 vols, dont voici le détail de ceux qui dépassèrent les 30 minutes imposées :
Appareil Wurttemberg, pilote Hirth. 34 min. 54
Appareil Wurttemberg, pilote Hirth. 44 min. 27
Appareil Wurttemberg, pilote Hirth. 36 min. 47
Appareil Stadt-Stuttgart n° 5, pilote Protzen. 34 min. 15
Appareil Stadt-Stuttgart n° 5, pilote Bachem. 36 min. 42
Appareil Kegel n° 6, pilote Magersuppe. 34 min.
Appareil Kegel n° 6, pilote Magersuppe. 30 min. 36
Appareil Darmstadt n° 7, pilote Nehring. 55 min. environ
C'est au cours de ce dernier vol, et après avoir volé 30 minutes au-dessus du terrain, que Nehring partit pour son vol de distance.
En plus de ces vols, - au cours desquels Nehring paraît avoir atteint la plus grande hauteur au-dessus du point de départ avec 230 mètres – on enregistra plusieurs envolées d'une moindre durée, entre 5 et 28 minutes.
Le dernier vol de la journée – celui de Protzen sur le Stadt-Stuttgart n° 5 – se termina par un atterrissage assez dur, où l'appareil fut endommagé. L'équipe de Stuttgart se mit immédiatement au travail pour réparer.
Georges HOUARD

 

Les Ailes n° 372, jeudi 3 août 1928
A Vauville avec les planeurs Hirth monte à 327 mètres et franchit 30 kilomètres

Dans le vent et la brume, Hirth s'affirme comme le meilleur, grâce au parti qu'il sait tirer des moindres ascendances du terrain. Les autres pilotes allemands ont accompli également des performances de toute beauté qui montrent tout ce que l'on peut obtenir du vol sans moteur.
Samedi 21 juillet
Encore une journée intéressante. La mâtinée, toutefois, ne vit aucun vol, le vent du Nord n'ayant tourné au Nord-Ouest que vers 11 heures. Le planeur de Nehring a été ramené au camp, dans la nuit, à 2 heures 30 du matin. Le point d'atterrissage a été contrôlé par deux commissaires dévoués, le Capitaine De Bonnal et M. Lagasse qui ont recueilli sur place le témoignage du Maire de Baubigny.
Vers midi, sont arrivés au Camp Maneyrol, M. Caudron et l'ingénieur Deville. Enfin, voici un constructeur français qui ne veut pas fermer les yeux sur l'effort étranger… Félicitons-le comme il convient.
Un peu avant 3 heures, les planeurs sont amenés au point de départ. Hirth, sur son Wurttemberg, prend le premier son vol. Hirth donne l'impression d'être le mieux familiarisé avec la région ; il connaît dès à présent les coins où l'ascendance est la plus marquée et quoique son appareil soit parmi les plus lourds, il réussit à tenir quand le vent oblige les autres à descendre sur la plage. Il vole 33 minutes et atterrit, vent arrière, dans de bonnes conditions.
Nehring sur son Darmstadt part à 15 h 11 ; ses 30 minutes écoulées, il veut revenir atterrir vent arrière, mais manquant de hauteur, il n'atteint pas le terrain. Il arrive percutant sur la mi-pente et un emboutissage paraît inévitable. Pilote merveilleux, Nehring cabre son appareil qui se pose, intact, braqué sur une pente à 25 ou 30 %. Kegel sur le Kassel réparé part à son tour, mais le vent est trop faible. Il revient atterrir après quelque 13 minutes de vol.
Puis c'est encore Hirth, qui ajoute à sa totalisation un second vol de 33 minutes.
Kegel reparti, doit atterrir sur la plage après, une fois de plus, 13 minutes de vol.
La journée se termine enfin par un troisième et dernier vol de Hirth à qui il faut toute son adresse pour tenir les 30 minutes exigées. Au bout de 28 minutes le vent ne suffit plus à maintenir l'appareil sur la crète. Hirth gagne les petites dunes et poursuit son vol au-dessus d'elles, le prolongeant sur la plage, par un ultime vol plané. Il a réussi, de justesse, à tenir les 30 minutes…
A signaler enfin la tentative de Savoyas pour se qualifier. Son appareil, avec Savoyas lui-même au poste de pilotage, a décollé avec une extrême facilité, mais très cabré. Il est monté ainsi à 7 ou 8 mètres où il a glissé sur l'aile. Dans la chute, toute la partie gauche du planeur fut brisée, mais le pilote s'en sortit indemne. L'audacieuse persévérance de Savoyas méritait un meilleur sort.
Dimanche 22 juillet
Vent d'ouest, mais faible. On ne volera pas au Camp Maneyrol. Cependant, de Cherbourg, le public est venu nombreux. On l'estime à 3 ou 4000 personnes fort désappointées de ne pas voir voler. Sur la prière de MM. Adrien, Maré et Sadot (A vérifier) et eu égard au concours que Cherbourg ne cesse d'apporter à depuis bien longtemps à l'Association Française Aérienne, celle-ci décida de créer une prime de 500 francs pour un concours d'atterrissage sur la plage, ceci dans le but de provoquer la sortie de quelques appareils et de satisfaire ainsi au désir du public. M. René Caudron, en apprenant cette décision, eut le joli geste de remettre immédiatement à l'A.F.A. une somme de 500 fr pour créer une seconde prime. D'accord avec le grand constructeur d'Issy-les-Moulineaux, on décida d'affecter la prime René Caudron à une épreuve de durée.
Les pilotes allemands, d'accord avec le Professeur Georgii, déclarèrent alors que, s'ils gagnaient ces primes, elles iraient aux monteurs de leur équipe.
Immédiatement, deux appareils sortirent sur le terrain. Le Kassel n° 3 de Max Kegel et le Wurttemberg n° 4 de Hirth. Le concours d'atterrissage aurait certainement permis à Alfred Auger de montrer une fois de plus ses brillantes qualités de pilote. Si le vent était insuffisant pour permettre au Vautour de tenir l'air, il lui aurait été possible, par contre, - comme allaient le faire les appareils allemands – de descendre à la plage pour une simple épreuve de précision d'atterrissage. On ne comprit et on ne comprend pas encore la raison pour laquelle il s'abstint d'effectuer la moindre tentative.
Kegel et Hirth s'envolèrent successivement. Le Kassel tint l'air 2 min. 49 sec. et se posa à 116 mètres du but, où le contrôlèrent deux commissaires, MM. Rolle et Librizzi. Hirth vola un peu moins longtemps : 2 min. 36, mais il se posa à 58 m. 40 du drapeau. En conséquence, la prime de M. René Caudron fut attribuée au Kassel n° 3 et la prime de l'A.F.A. au Wurttemberg.
L'abstention de M. Auger fut d'autant plus regrettée que la précision d'atterrissage de Hirth ne fut pas telle que le bon pilote français n'aurait pu faire mieux. Il avait, au contraire, toutes les chances de faire un atterrissage bien meilleur que celui du pilote allemand.
Lundi 23 juillet
Toujours pas de vent ou si peu que ce n'est même pas la peine d'en parler.
A 15 h. 10, Bachem sur le Stadt-Stuttgart n° 5 fait un vol de 10 min. 30 sec.
A 17 heures le vent paraît avoir un peu fraîchi. Protzen sur le Stadt-Stuttgart s'envole, mais revient atterrir après 2 min. 37 sec.
Bachem remplace Protzen, mais la brise de mer est décidément trop faible et, à son tour, il doit atterrir après 5 min. 30 de vol.
C'est fini pour la journée.
Mardi 24 juillet
Le temps est infiniment plus favorable. Le vent, toujours à l'Ouest, souffle plus fort et plus régulièrement.
A 11 heures 15, Protzen, sur le Stadt-Stuttgart n° 5, s'envole. Huit minutes après, il revient, veut prendre le terrain vent arrière mais n'y parvient pas. Il le pose sur la pente, à l'endroit le plus abrupt et casse son appareil. La très courageuse équipe de Stuttgart ne désespère pas de pouvoir réparer avant la fin des épreuves. Elle démonte le planeur, le dépose sur la remorque et s'en va chercher un atelier à Cherbourg.
A 11 heures 45, Hirth part sur le Wurttemberg. Il va virer au-dessus de Vauville et regagne le terrain sans plus insister, après 3 min. 3 sec. de vol. Le vent est encore insuffisant.
A midi, pourtant, l'anémomètre indique une vitesse de 5 à 6 mètres. Les commissaires décident de ne pas fermer le contrôle et, pour le déjeuner, se séparent en deux équipes. Nehring s'embarque à bord du Darmstadt n° 7, décolle en beauté et tient l'air admirablement pendant 40 minutes 31 sec. Hirth sur le Wurttemberg n° 4, suit l'exemple de Nehring et décolle à 12 h. 24 pour un vol qui va durer 46 min. 04 sec. Le vent a fraîchi et les planeurs sont si bien accrochés que les pilotes éprouvent de réelles difficultés pour perdre de la hauteur et atterrir. Nehring et Hirth consacrent ainsi respectivement 10 et 15 minutes à manœuvrer dans le vent ascendant.
A 12 heures 44, Kegel, sur le Kassel n° 8, part à son tour. A belle hauteur, il croise au-dessus du terrain, puis se dirige sur Dielette pour tenter l'épreuve de distance. Georges Dinner, chronométreur, le perd de vue au bout de 30 minutes. Peu après, on apprend que Kegel n'a pu faire mieux que Nehring dans son vol du 20 juillet. Il a même fait beaucoup moins puisqu'il a atterri à Siouville, à environ 7 kms du terrain de Vauville. Il ne s'en attribue pas moins le 2e prix de l'épreuve de distance.
Six minutes après Kegel, Magersuppe avait pris son vol pour l'épreuve des 30 minutes. Trompé par un signal d'atterrissage, il se posa après 28 minutes de vol. Sur la demande des diverses équipes allemandes, auxquelles s'associe Alfred Auger, on décida néanmoins de retenir ce vol pour le classement.
A 18 heures 44, Nehring décolla sur l'appareil Darmstadt n° 7. Il se promena pendant environ un quart d'heure entre Biville et Vauville., puis, prit la direction de l'Ouest, avec l'intention d'améliorer sa position dans l'épreuve de distance. Il ne put réaliser ce projet et se posa à 7 kms 700 de son point de départ soit environ à 700 mètres de Kegel. Mais, moins heureux que celui-ci, il heurta de l'aile un rocher et brisa son appareil. Le beau Darmstadt avait joué son rôle à Vauville. Ramené dans la nuit, il était mis sur sa remorque et prenait immédiatement par la route le chemin de l'Allemagne.
Un des concurrents les plus redoutables se trouvait ainsi éliminé. On compte qu'il faudra 8 à 10 jours pour remettre le Darmstadt en état. Après quoi, il partira pour la Rhön où il est engagé.
Dans la journée, on assista encore à un joli vol de Hirth sur le Wurttemberg n° 4. Il tint l'air 32 min. 20 sec. Ce pilote est, à notre avis, le plus remarquable de l'équipe allemande. « Gonflé à bloc » - c'est l'expression qui convient – il sait utiliser merveilleusement toutes les ascendances du terrain et ses évolutions sont vraiment les plus jolies qu'il nous ait été donné de voir.
Magersuppe accomplit le dernier vol de la journée. Il partit à 15 heures 38, le vent avait très sensiblement baissé. Il dut descendre sur la plage après un petit vol de 2 minutes 40.
Mercredi 25 juillet
Avant-dernière journée du concours. La plus belle et la plus intéressante sans doute. Dommage que le départ du Darmstadt et les avaries du Stadt-Stuttgart nous aient privé de deux concurrents de tout premier ordre. La matinée n'avait vu aucune sortie. Le brouillard recouvrait toutes les crêtes et au Camp Maneyrol, on ne voyait guère à plus de 50 mètres devant soi. Brusquement, vers midi, L'atmosphère s'éclaicit et l'on eut l'impression très nette qu'on allait assister à de forts beaux vols. La réalité allait confirmer le bien-fondé de cette impression.
C'est Kegel, sur le Kassel n° 3 qui, le premier, donna le signal du départ. A 15 h. 02 il s'envola, gagna de l'altitude, et prit la route de Siouville où il atterrit, après 35 m. de vol, ayant atteint au cours de ce petit voyage la hauteur de 264 m. au-dessus de son point de départ.
Magersuppe sur le Kegel n° 6 décolla à 15 heures 06 et vola, à 200 m. de haut, pendant 42 min. 34 sec.
A 15 heures 26, Hirth sur le Wurttemberg n° 4 s'éleva plus facilement encore qu'à l'habitude, prit de la hauteur et commença à évoluer sous un plafond qui n'atteignait pas 200 mètres. Bientôt il creva ce plafond, c'est-à-dire que dépassant l'altitude de la couche nuageuse, il disparut dans la brume. On le vit manœuvrer avec une habileté consommée, profitant des grains pour s'élever encore davantage et atteindre la hauteur de 316 mètres au-dessus de son point de départ. Il avança en mer jusqu'à plusieurs kilomètres au large, planant ainsi à près de 450 mètres d'altitude. Ce vol est certainement le plus beau auquel nous ayons assisté ici. Après 37 minutes de vol, il revint au terrain. Atterrissage absolument remarquable.
A 16 heures 16, Magersuppe sur Kegel n° 6, repartit. Mais son gouvernail de direction fonctionnait mal et, ayant volé à peine 2 minutes, il revint se poser à son point de départ.
Hirth repartait alors. Il était 16 heures 28. Il volait 46 minutes 01 secondes et revint atterrir vent debout, sur le terrain, ayant atteint l'altitude de 260 mètres. La plus grande partie de ce vol fut accomplie dans la brume, hors de vue des assistants. Pour se poser, Hirth dut prendre son terrain très en arrière de la crête, il vira sur les hangars, traversa toute la piste au ras du sol et se posa au bord de la crête. La précision de cet atterrissage provoqua les applaudissements enthousiastes de l'assistance. Ces applaudissements étaient mérités.
Depuis le début de l'après-midi, Alfred Auger était hésitant. Sortirait-il ? Il se décida à sortir quand le vent commençait à baisser. Le Vautour décolla à 16 h. 31 et vola pendant 26 min. 24 sec. à 120 mètres de haut. Une baisse sensible dans la vitesse du vent le contraignit à se poser avant d'avoir tenu les 30 minutes fatidiques. Magersuppe , de nouveau, à 16 h. 39, fit un vol de 32 min. 38 sec., suivi d'un autre, en fin de journée, de 37 min. 54 sec. Ce jeune pilote, formé au vol à voile, est persévérant et courageux. Montant le plus vieil appareil de l'équipe allemande [NdR : le Kegel I n° 6] – il a été construit il y a trois ans – il réussit à se classer très honorablement et a droit à de très vives félicitations.
Mais le grand évènement de la journée se passa à 17 heures 34. Hirth se décida à tenter l'épreuve de distance. Le troisième prix de cette épreuve restait à attribuer. Hirth voulu essayer de se l'approprier. En réalité, il allait battre Nehring, prendre la première place des épreuves de hauteur et de distance, et confirmer sa haute valeur de pilote. En 1 heure 01 min. de vol, après une série de manœuvres réellement merveilleuses, au cours desquelles il montait à 327 mètres au-dessus de son point de départ, Hirth touchait terre à Carteret, à 30 kms environ du Camp Maneyrol ! Il faut connaître la région, les zones plates séparant Carteret du Camp pour apprécier cette performance comme il convient. On reviendra d'ailleurs là-dessus, car les enseignements qui se dégagent d'un tel vol sont dignes d'être exposés et commentés. La journée prit fin sur cette splendide performance.
Jeudi 26 juillet
Journée de clôture. Journée d'adieu. Au petit matin, de la brume, du crachin. Vers 10 heures, du soleil, mais pas de vent.
Tout le monde commence à plier bagage. Tout le monde ? Non ! A 8 heures arrive l'équipe de Louis Peyret avec le nouvel appareil destiné à Auger. Et nous sommes au dernier jour du concours ! Dommage : il eût été intéressant de voir voler cet appareil. Le jeune Abrial qui l'a conçu s'est d'ailleurs visiblement inspiré des planeurs allemands auxquels il ressemble comme un frère. L'étude constructive en a été assurée par Louis Peyret qui a appliqué à cet appareil ses conceptions personnelles. C'est un monoplan de 16 mètres, aile en porte-à-faux, en trois parties. On eût souhaité tout de même qu'il présentât une note un peu plus particulière, autre chose que l'imitation des planeurs vus à la Rhön.
Charles Guilbaud est arrivé au Camp et son appareil qui a volé au terrain plat de Marignane doit être ce soir à Cherbourg. Et nous sommes au dernier jour du concours ! Le vent trop faible n'a pas permis de voler de la journée.
A 17 heures, les organisateurs ont offert, sur le terrain, un vin d'adieu. M. Houard a remercié tous ceux qui ont assuré l'organisation et le succès du IVe Concours d'Aviation sans Moteur. Le pilote Hirth, le Professeur Georgii, M. Lebrettevillois, maire de Cherbourg, ont répondu. Puis l'on s'est séparé en souhaitant pour l'année prochaine la réédition de cette belle manifestation si profitable en enseignements de toutes sortes.
Georges HOUARD

 

LE PALMARÈS

1) Hauteur au dessus du point de départ

1er Hirth sur le Wurttemberg 327 m
2e Nehring sur Darmstadt 230 m

2) Distance en ligne droite

1er Hirth sur Wurttemberg 29 km
2e Nehring sur Darmstadt 25 km
3e Kegel 7,700 km

3) Totalisation des hauteurs (avec retour au point de depart et durée minimum de 30 minutes)

1er Hirth sur Wurttemberg 1244 m
2e Magersuppe sur Kegel n°6 775 m
3e Nehring 280 m

4) Plus grand nombre de vols supérieurs à 30 minutes (avec retour au point de départ)

1er Hirth 10 vols
2e Magersuppe 6 vols
3e Nehring 4 vols

5) Prix national au pilote français le mieux place : Alfred Auger
[c'est plutôt un prix de consolation, Auger ayant été le seul pilote français et n'ayant pu être classé (NDLR)]


RÉFÉRENCES

[1] 1928 : Vauville reçoit le vol à voile allemand, par Jacques Marceau, Vieilles Plumes n° 12 automne 2001, FFVV 2001
[2] Les as allemands du vol à voile vont voler à Vauville, revue Les Ailes n° 365, 14 juin 1928
[3] Les premières journées de Vauville, par Georges Houard, revue Les Ailes n° 370, 20 juillet 1928
[4] Les pilotes allemands, par vent faible, réussirent des vols sensationnels, par Georges Houard, revue Les Ailes n° 371, 27 juillet 1928
[5] Hirth monte à 327 mètres et franchit 30 kilomètres, par Georges Houard, revue Les Ailes n° 372, 3 août 1928
[6] Vauville, par Laurent Lefiliâtre, 2002
[7] Vom Hangwing zur Thermik, par Peter Riedel, Motorbuch Verlag, Stuttgart 1984

Page mise à jour le 17/05/2013
Des vieilles toiles aux planeurs modernes © ClaudeL 2003 -