Des couacs chez les canards

Ewald HUNSINGER - Michaël OFFERLIN

Avant propos du claviste:
Une précision: L'article suivant est un article de commande pour le numéro "spécial Canards" du Magazine Experimental, à l'époque dirigé par F. Besse. Il sagissait de présenter le point de vue: "contre" de manière argumentée. Et de fait, on nous reproche souvent ces écrits (le ton est je vous l'accorde volontairement provocateur) mais rarement les faits exposés.


La publicité donne de la réalité une image bien particulière ... Destinée à amadouer et à subjuguer ceux à qui elle s'adresse, sa fonction principale consiste moins à vanter les mérites d'un produit qu'à cacher ses vices. Concepteur adulé, B. Rutan s'est révélé surtout être un publicitaire talentueux, si l'on en juge par le succès qu'il a eu chez les aviateurs. Ce talent, il nous l'a démontré encore avec sa dernière campagne promotionnelle qui a eu pour nom, Voyager. Tout cela cependant, ne doit pas masquer une réalité qui, à bien y regarder, est loin de l'image de marque que B. Rutan s'est appliqué à propager. Entre l'apparition du VariEze dans les années 75 qui a été marquée par l'engouement des amateurs (maintenus dans l'ignorance) jusqu'à l'abandon de la vente des liasses quelques temps après qu'une étude détaillée en soufflerie ait été entreprise par la Nasa à la suite de multiples accidents, l'entreprise de B. Rutan a quand même eu le temps de réaliser de substantiels profits. En fait, le génie de B. Rutan, s'il y a génie, a surtout consisté à profiter du marasme de l'aviation légère en général et de la construction amateur en particulier, qui en était restée à une aviation de 1930.

Burt Rutan passe aux aveux !

Le varieze de Klauss Savier La simple analyse chronologique des réalisations de B. Rutan, qui s'étalent sur une période de plus de 25 ans, dénote chez son auteur une méconnaissance de certaines des lois régissant les sciences aéronautiques et démontre sa non maîtrise des procédures de conception-avion. Sans vouloir donner une liste exhaustive des critiques à formuler, au sujet des réalisations signées Rutan, nous allons donner quelques éléments de réflexion sur ses conceptions. Mais auparavant, donnons la parole à Burt Rutan lui-même qui, dans la préface du livre de Andy Lennon présenté dans ces pages, nous explique ses errements conceptuels : "cela fait vingt ans déjà que j'ai fait mes premières expériences dans l'aérodynamique des canards. Mes premières inspirations proviennent des avions en développement à l'époque où je fréquentais encore l'école d'ingénieur. Le XB-70 de North American et le Viggen de Saab n'avaient pas encore volé mais leurs formes m'apparaissaient si belles et leur apparence si engageante qu'à n'en pas douter, ils devaient à coup sûr bien voler. (…) Mon travail initial a consisté à appliquer les sciences fondamentales récemment acquises aux avions de type canard. Il s'agissait avant tout d'obtenir un avion non décrochable naturellement même si c'était au détriment de l'optimisation des performances. (…) Je dois avouer qu'une grande partie de mon travail initial ne doit son succès qu'à une chance inhabituelle. Plus tard, après avoir acquis les méthodes d'analyse, je me suis rendu compte que j'avais échappé à de multiples chausse-trappes dans lesquelles j'ai failli tomber lors du développement du VariViggen. J'ai eu beaucoup de chance. Il y a beaucoup à apprendre de l'étude de l'histoire et les documents me manquaient sur les tentatives passées de conception des avions canards. (…) Comme vous le verrez en lisant ce livre, les canards sont apparus avec une grande variété de formes et de dimensions. Quelques uns sont bien conçus et bénéficient, en plus de l'indécrochabilité naturelle, de bonnes performances. D'autres, quoique d'apparence extérieure similaire, souffraient de graves défauts de qualités de vol et étaient dangereux par manque de stabilité à faible vitesse. (…) Un concepteur qui dispose d'un outil adéquat peut éviter les domaines problématiques dans la mesure où il connaît leur existence. Les problèmes qu'il ignorera seront toujours ceux qui lui réserveront les surprises les plus déplaisantes. Le grand intérêt de l'exposé de A. Lennon est sans doute de montrer l'importance qu'a une analyse adéquate pour le concepteur amateur. J'ai perdu plusieurs amis personnels dans des accidents d'avions parce qu'ils ne s'étaient pas appliqués à une conception technique complète" précise Burt Rutan. Cette préface de B. Rutan est exemplaire en tant qu'aveu. Elle le sera plus encore lorsqu'on aura fait le tour de ses déficiences...

De Vilains petits canards

varivigen, varieze et defiant

1) Le cahier des charges :

Concevoir un avion avec pour simple objectif la non décrochabilité est pour le moins surprenant, d'autant qu'il sacrifie d'emblée les performances à cette caractéristique comme si celle-ci ne pouvait pas s'obtenir sur les avions conventionnels; comme si par ailleurs un avion ne devait avoir qu'une seule propriété. Ce cahier des charges est donc largement insuffisant: les basses vitesses ne constituent qu'un pourcentage faible du domaine de vol d'un avion. Un ingénieur, lors de la conception d'un appareil, doit s'attaquer à la totalité du domaine de vol. A notre connaissance, B. Rutan n'a jamais explicité les spécifications retenues pour ses avions et surtout, il n'a jamais tenu compte de l'état actuel et passé des performances obtenues pour tenter de les améliorer.

2) L'aile delta :

Sa première réalisation, le VariViggen, dénote une méconnaissance des performances-avion. L'utilisation d'une aile delta sur un avion subsonique de voyage est une grossière erreur qui en dit long sur les représentations mentales de B. Rutan quant aux relations de la mécanique du vol. En effet, une aile delta avec son allongement de 3 à 3,5 ne permet qu'une finesse maximale de 7 à 8. Il est évident (sauf pour B. Rutan !) qu'une finesse aussi faible va entraîner d'emblée une dégradation importante des performances de cet avion par rapport aux avions existants dont les finesses courantes sont de l'ordre de 12 à 16. Il n'y avait donc pas lieu de construire un tel avion. Il a d'ailleurs dû se rendre compte assez rapidement de son erreur puisqu'il a de suite remplacé l'aile delta par une aile de grand allongement, d'abord sur le VariViggen en rajoutant des tronçons d'aile avec winglets (admirons au passage le bricolage) puis en revenant à l'aile conventionnelle de grand allongement pour le VariEze. Les performances du VariViggen obtenues avec 150 ch. sont misérables puisqu'il croisait à 250 km/h. A titre de comparaison, le F-8L Falco avec 160 ch., également biplace, croise à 300 km/h. Première erreur, premier apprentissage de Burt Rutan qui n'en a pas moins vendu quelques liasses.

3) L'indécrochabilité :

Le VariEze, malgré son succès commercial, comporte un certain nombre de défauts qui en font un avion "médiocre". Son seul avantage sur les avions conventionnels : le pilotage direct de la portance qui permet un temps de réponse plus court et qui évite à l'avion de passer sous la trajectoire en cas de changement de pente, ce qui peut être dangereux notamment lors de l'arrondi ou lors d'évolutions près du relief. Ce pilotage direct de la portance, cependant, n'est pas nouveau. Il y a 50 ans déjà que Henri Mignet l'utilisait sur ses avions, concept qu'il appelait "l'aile vivante". C'est en cela que H. Mignet est un vrai innovateur, malheureusement trop en avance sur son époque. C'est d'ailleurs cet avantage qui fait que H. Mignet n'est pas dépassé pour peu que l'on améliore encore l'aérodynamique ... mais on aboutit alors tout droit au Q2 ou au Dragonfly. Comme quoi, il est actuellement difficile d'inventer et d'innover, sauf quand la "jeune" génération ignore ce que les "anciens" avaient déjà trouvé, ce qui est trop systématiquement le cas.
L'avantage prétendu du VariEze, l'indécrochabilité n'est obtenu qu'au prix de la non utilisation de la portance maximale de l'aile. L'avion comporte donc de la surface d'aile inutilisable, et présente de ce fait une traînée parasite supplémentaire. Il faut signaler qu'une même procédure de non décrochabilité peut être également appliquée à l'avion conventionnel (par limitation du débattement des gouvernes d'empennage, par pousseur sur le manche, etc.) avec d'ailleurs les mêmes inconvénient, à savoir : une vitesse minimale de contrôle très élevée, entraînant des distances de décollage et d'atterrissage importantes (à masse équivalente), à moins de sur motoriser et d'installer une hélice à pas variable. C'est ce que fait Gyroflug sur son Speed-Canard pour réduire la distance de décollage de 700 m (version 116 ch.) à 450 m (version 160 ch.). Et nous voilà repartis dans l'escalade masse/puissance. A noter que la distance d'atterrissage reste 700 m et que la version 116 ch. n'obtiendrait même pas le CNRA qui exige le passage des 15 mètres en moins de 600 m...

4) L'aérodynamique :

Malgré les affirmations gratuites et non chiffrées de B. Rutan, concernant l'obtention d'une "aérodynamique exceptionnelle", il n'en demeure pas moins que le VariEze (comme le Speed-Canard) comporte une traînée de culot (ou de pression, ou de sillage, ou "base-drag" selon les diverses terminologies), du fait de la non-fermeture de l'arrière de l'avion rendue impossible par la présence du moteur. Des décollements s'y installent donc irrémédiablement. A titre d'exemple, les biplaces conventionnels bien réalisés présentent des surfaces de traînée équivalente (ou S.CXO) de 0,12 à 0,15 M2 alors que les biplaces canard connus atteignent 0,25 à 0,32 M2 Soit une surface de traînée équivalente approximativement doublée. Cela explique pourquoi avec 100 ch., le Lancair (avion conventionnel) croise à 315 km/ h alors qu'avec la même puissance, le VariEze n'atteint que 273 km/h.
Les affirmations du concepteur concernant une "aérodynamique exceptionnelle" sont donc formellement démenties par les faits (encore que "exceptionnel" ne veut pas dire "excellent"). Burt Rutan a oublié de faire une analyse statistique comparative et a compté sur l'ignorance des constructeurs amateurs auxquels il s'adressait. Cette ignorance est grave par les implications sécuritaires qu'elle implique, et en ce domaine, la responsabilité de la presse spécialisée n'est pas nulle. Sachez dorénavant choisir vos revues et exigez d'elles de publications chiffrées plutôt que des impressions subjectives.

5) Les ailerons :

Malin en diable, B. Rutan avait monté initialement la fonction aileron en différentiel sur le canard (imaginez un avion avec le contrôle en roulis installé en différentiel sur la profondeur!). On ne peut même plus parler de méconnaissance des éléments de contrôle et de pilotage ... Déjà que ce pauvre plan-canard, chargé au mètre carré comme il l'était, non content d'être responsable du contrôle longitudinal, se voyait en plus affublé du contrôle en roulis. C'était présager là d'une santé vraiment exceptionnelle ! Dés le premier vol, il a fallu modifier le contrôle en roulis. Par la suite, B. Rutan qui, évidemment continue par ses expériences sur objet à parfaire ses connaissances déficientes (mais qu'apprend on dans les écoles d'ingénieurs ?), monte donc ses ailerons sur l'aile et installe ses gouvernes de direction sur les winglets en bout d'aile. Que croyez vous qu'il arriva avec ces deux éléments placés "un près de l'autre? Un beau couplage aérodynamique roulis-lacet. A basse vitesse, la pression sur le palonnier entraîne un roulis au lieu du lacet attendu, d'où un changement de comportement de l'avion incompatible avec un pilotage "normal".

6) La charge alaire :

La stabilité longitudinale d'un avion quel qu'il soit, impose comme condition que la portance du plan avant soit plus élevée que celle du plan arrière. Autrement dit, le plan avant doit être obligatoirement plus chargé au M2 que le plan arrière. Si ce plan avant est un canard, c'est à dire un plan de faible corde, le nombre de Reynolds auquel il va travailler sera donc plus faible que celui d'une aile conventionnelle. Cela n'est pas sans conséquence sur la couche limite, dont la laminarité est, dans ce cas précis, un inconvénient majeur puisqu'elle est responsable de changement de comportement intempestif en cas de Pluie (les canards n'aiment plus la pluie !) ou de contamination par les insectes - comportements qui ne permettent pas de voler à basse vitesse du fait du décrochage du plan-canard. Pour un avion dont le seul cahier des charges était l'indécrochabilité à tout prix, c'est réussi! La forte charge alaire du canard entraîne alors une vitesse minimale de contrôle élevée, donc des distances de décollage et d'atterrissage élevées. Du point de vue de la stabilité, l'avion canard doit être considéré comme un avion conventionnel dont l'empennage a été surdimensionné. En effet, le canard marche toujours à un Cz (coefficient de portance) plus élevé que l'aile, et le décrochage se fait toujours sur le canard : ce sont là, les caractéristiques principales d'une aile d'avion conventionnel.

7) Rendement de l'aile :

L'aile des avions canards vole en partie dans le sillage descendant et les tourbillons marginaux du canard. Son aérodynamique et en particulier le coefficient d'Osswald "e" (rendement de l'aile par rapport à l'aile idéale) est dégradée. Ceci enlève une partie de l'intérêt d'avoir un empennage porteur. Il serait intéressant d'obtenir de B. Rutan l'indication du "e" global de ses machines ainsi que les S.CXO qu'il obtient. La discussion sur l'intérêt des canards serait alors possible sans se baser sur des impressions subjectives, non quantifiées telles que diffusées par la Rutan Aircraft Factory dans ses brochures.
Le sillage descendant du canard diminue l'incidence de la partie centrale de l'aile, principalement aux grands angles (Cz du canard important d'où traînée induite élevée et déflection importante), en aggravant ainsi la tendance au décrochage asymétrique en extrémité d'aile, condition dangereuse car c'est alors le départ en vrille (fameuse réussite de l'indécrochabilité !). Nous savons que les premiers appareils avaient cette fâcheuse tendance (gageons que les utilisateurs n'ont pas été avertis, avant leur achat, des risques auxquels ils allaient s'exposer!). Par la suite, cette tendance a été éliminée par la limitation du débattement du volet du canard (solution utilisée sur les avions conventionnels pour les rendre non décrochable : le détour est grand pour arriver à une même solution) puis par le choix d'un profil du canard décrochant nettement avant l'aile (quelle gymnastique mentale pour rendre décrochable un avion qui ne voulait à l'origine pas l'être !). Tous ces défauts aérodynamiques et de stabilité ont été mis en évidence par la Nasa lors d'essais en soufflerie du Varieze en 1983-84. Peu de temps après, B. Rutan annonçait l'arrêt de la diffusion de ses plans (pour un produit qui prétendait à tant de qualité, et qui lui avait déjà permis de se faire une petite fortune sur le dos des amateurs, c'est plutôt surprenant!). Notons que chez Gyroflug, ce problème de la différence entre les parties interne et externe de l'aile a été réglé en donnant à l'aile un vrillage différent aux deux parties, solution très disgracieuse, aérodynamiquement pénalisante et préjudiciable à la construction et à la résistance de la structure de l'aile.

8) La laminarité :

Alors qu'il prétend à un état de surface parfait par l'utilisation des composites, B. Rutan n'a pas utilisé les développements les plus récents de l'aérodynamique en matière de couche limite laminaire pour sa dernière réalisation (le Starship 1). On sait d'après ses aveux que les performances sont le dernier de ses soucis et que "l'avenir est au canard", ce qui semble étrange dans le domaine professionnel car son concurrent direct (le Piaggio P-180) qui vise le même créneau et qui s'est appliqué à "laminariser" ses ailes et une partie non négligeable de son fuselage, vole, lui, à près de 100 km/h plus vite que le Starship 1 (740 contre 652 km/h) avec une puissance plus faible de 27,2% (1600 ch. contre 2200 ch. pour le Starship 1) et ce pour un prix de recherche et de développement de 5,5 fois moindre (200 milliards de centimes pour le Starship 1 contre 36 milliards pour le Piaggio). On ne peut que s'incliner devant tant de compétence...
Pour obtenir un maximum de laminarité, il faut une aile de faible corde dépourvue de flèche pour éviter une composante en envergure de l'écoulement qui perturberait immédiatement la laminarité, ainsi qu'une forme de fuselage particulière pour éviter le plus longtemps possible les gradients de pression positif qui déclenchent la transition laminaire/turbulent. Ces connaissances ont parfaitement été intégrées dans le P-180 de Piaggio. Les premiers vols ont confirmé le bien-fondé de cette optimisation. Le P-180 comporte par ailleurs une surface mouillée minimale inférieure de 25% à celle du Starship 1 (due précisément à une meilleure utilisation du Cz max. de l'aile), la traînée de frottement qui est toujours proportionnelle à la surface mouillée, se trouvant réduite dans les mêmes proportions.
A des vitesses moindres, le problème de contrôle de l'écoulement laminaire reste identique pour le VariEze avec son aile à forte flèche (solution retenue pour la stabilité de route). Bref, B. Rutan sacrifie au "look canard" beaucoup de choses. Il arrive à cette performance peu commune d'obtenir de la laminarité là où précisément elle est nuisible et génératrice de problèmes majeurs (le canard) et de s'en priver précisément là où il en aurait eu le plus besoin et où les surfaces sont (trop) grandes (l'aile).

9) Le train :

Le train principal du VariEze est nécessairement haut pour dégager l'hélice. Cela donne un moment piqueur de par la traînée de roulement, aggravant ainsi le problème de la rotation au décollage. Les cailloux soulevés par les roues endommagent régulièrement l'hélice lors des utilisations sur piste en herbe. A part la version voltige du Bolkow Monsun qui n'a pas connu de diffusion, la VariEze est le premier avion connu à rentrer le train auxiliaire sans rentrer le train principal. Cela seul dénote la pleine possession des capacités innovatrices et optimisatrices! Rutan-professionnel a réitéré un "coup" semblable en réalisant un empennage (canard) à géométrie variable et une aile principale fixe sur son Starship 1 !

10) Les composites :

Le choix systématique du plastique que B. Rutan fait pour ses réalisation, dénote une même disposition d'esprit de laquelle est exclue toute idée d'optimisation. Son entêtement à faire des choix a priori le conduit, par exemple, à faire son Starship 1 en plastique, puis, après en avoir fait construire trois prototypes pour les essais de certification, à en augmenter la masse de 10% car il s'est rendu compte (aux frais de sa société ce coup-là) que le plastique ne tenait pas, sans se déformer, les efforts de pressurisation - surprise que n'aurait pas apporté le métal (Piaggio P-180). Le plastique, comme les autres matériaux, a ses avantages et ses inconvénients. Il s'agit de l'employer à bon escient c'est à dire là où l'on peut bénéficier des avantages sans pâtir des inconvénients. Ce qu'il faut faire, en fait, c'est utiliser la diversité des propriétés des divers matériaux comme d'une variable supplémentaire, pour atteindre une meilleure optimisation. Le choix du matériau ne peut donc pas se faire a priori sans connaissance préalable des problèmes à résoudre. C'est sans doute là, un langage que B. Rutan n'est pas encore prêt à comprendre...

11) Le devis de masse :

Les procédés de mise en oeuvre du plastique par les amateurs présentent de nombreux inconvénients dont l'un se résume à ceci : le matériau est produit en même temps que la structure. Il n'y a donc aucun contrôle de la qualité du matériau possible (l'industrie utilise les ultra-sons, les rayons X, etc. pour tester l'homogénéité du matériau). Il ne reste donc plus qu'une solution : forcer sur les sur-épaisseurs pour couvrir les incertitudes et se laisser une marge de sécurité. Résultat : un devis de masse désastreux. Ainsi, par exemple, alors que les fractions de masse à emporter (masse utile + masse carburant/masse au décollage) tournent autour de 0,48 pour le bois et toile (D-18), elles tombent aux alentours de 0,41 pour le métal (TB-10) et de 0,366 pour le plastique (Silhouette).

12) La méthode :

Quand on est ignorant dans un domaine donné, on commence (normalement) à rassembler la documentation s'y rapportant, avant de lancer sur le marché le fruit de ses élucubrations. B. Rutan, en toute rationalité, placé la charrue avant les bœufs. D'abord il construit l'avion. Ensuite il apprend à le concevoir par essais et erreurs. Son apprentissage a ainsi coûté une véritable fortune réalisée sur le dos des amateurs, parfois sur leur vie (ce qui est plus grave). A l'heure qu'il est, B. Rutan n'a toujours pas fini sa formation qu'il continue maintenant sur le dos de la société qui l'emploie, ce qui assurément est moins grave quoique nettement plus coûteux. La sécurité sera ici assurée par l'organisme de certification.

13) La technologie

Pour donner une idée de la pluridisciplinarité de ses lacunes intellectuelle, B. Rutan a conçu un train principal tout à fait non conforme aux données actuelles de la technologie de construction, avec hyperstatisme, flexions secondaires et mauvaise reprise des efforts concentrés. Le longeron principal, quant à lui, présente une brisure juste au niveau des fixations entraînant des torsions parasites, des surcharges locales responsables de concentration de contraintes. Comme il se doit, la reprise locale de cette torsion a été suffisamment mal assurée pour exiger des surdimensionnements qui vont bien entendu dégrader un peu plus le devis de masse. Ces fautes technologiques ne sont évidemment pas les seules, loin s'en faut, mais il serait trop long et hors de propos d'en faire la liste exhaustive. La démonstrations se suffit largement de ces quelques exemples.

14) L'exploit Voyager :

Projet de fin de soirée bien arrosée, dessiné nous dit on sur une nappe de restaurant, Voyager est avant tout l'œuvre d'un mégalomane du spectacle (du pain et du cirque). Sans aucun intérêt technologique (aucune connaissance nouvelle, ni aucun développement industriel), il aura toutefois permis de démontrer que deux personnes du sexe opposé (critère de choix de l'équipage) sont en mesure de tenir neuf jours dans "une baignoire". Cela rappellera à quelques uns (Robert Timm et John Cook) leur jeunesse, notamment la période du 4 décembre 1958 au 7 février 1959 pendant laquelle ils se sont trouvés à bord d'un Cessna 172 pour battre le record mondial de durée de vol dont ils sont toujours détenteurs avec ... 64 jours 22 heures et 19 minutes.
Canard naturellement instable par flexibilité des structures, Voyager n'est pilotable qu'avec l'assistance d'une stabilisation artificielle. Cette instabilité, due à la nécessité de construire léger en sacrifiant la rigidité et le coefficient de sécurité, trouve son origine dans les multiples couplages aéro-élastiques. B. Rutan a réussi ainsi à construire un avion mou que son frère a eu toutes les peines du monde à maintenir en l'air, ce que tout aéroélasticien aurait pû lui prédire. La performance humaine ne réside pas dans les neuf jours, mais dans le combat contre les lois de la nature (aéro-élastiques) et la bataille contre l'avion-chewing-gum (Hollywood est tout proche) pour l'empêcher de faire des bulles. Le record de distance doit environ 25% aux vents favorables. Reste le problème de son homologation car l'avion à l'arrivée était singulièrement diminué (perte des deux winglets plus des morceaux d'ailes). De toute évidence, ces parties ne lui étaient pas nécessaires donc superflues (perte légère d'aérodynamique compensée cependant par une diminution de traînée de frottement).
L'aérodynamique globale de la machine est conforme à l'aérodynamique des canards connus. Elle n'a rien de spectaculaire, le coefficient de frottement équivalent se situant aux alentours de 0,0045 (valeur imprécise par manque de données fiables) à comparer aux valeurs de quelques autres avions données plus bas. Voyager présente donc vraisemblablement une traînée de culot par décollement derrière le fuselage. Le seul paramètre aérodynamique, qui a permis de cacher les déficiences aérodynamiques et permis le record, est l'allongement démesuré qui, lui, résulte d'un choix, non d'une réussite technologique.

Du Rififi chez les canards

Le phénomène social "canard" est exemplaire, lui aussi, en ce qu'il laisse rarement la gent aéronautique indifférente: il y a les inconditionnels du canard et il y a ses détracteurs. C'est en cela que l'on peut parler de phénomène (micro)social. Notre propos ici, n'est pas de fourbir les armes des détracteurs. Il consiste à remettre les choses à leur juste place. Depuis dix ans, on a trop entendu parler des canards comme d'une panacée (d'autres s'apprêtent à en faire autant avec le concept à ailes jointives) pour ne pas remettre les pendules à l'heure. Le canard n'a pas de qualité aérodynamique extraordinaire qui puisse justifier la surabondance de problèmes qu'il apporte. S'il y a un domaine où il pourrait peut être apporter quelque chose, ce serait là où l'on ne l'utilise précisément pas : sur les hydravions. Le plan avant porteur aurait sans doute un effet positif sur le déjaugeage et l'appareil aurait peut être moins tendance à "marsouiner". Entre le pingouin cloué au sol et l'albatros aux rares qualités de vol, il y aurait quand même chez les palmipèdes une place pour le canard, mais près de la mare!
Si nous nous élevons contre quelque chose, C'est contre l'irrationalité de cet état d'esprit, contre le fait que les choix (que ce soit ceux du canard ou d'autre chose) ne relèvent en dernière analyse de rien d'autre que des phénomènes de mode et de "look". De là à plonger (étape suivante) dans ce que les anthropologues ont appelé "l'esprit magique", il n'y a qu'un pas qu'il serait fort dommageable pour l'aéronautique de franchir.
Pour faire reculer l'obscurantisme, il n'est que de faire la lumière. Or en notre domaine, la lumière, c'est la lumière des chiffres, c'est à dire le moyen, la possibilité des comparaisons objectives, chiffrées. Pour vous donner une idée même grossière et approximative (cela vaut mieux que pas d'idée du tout) de ce que vaut un avion donné, il vous suffit de calculer avec ces quelques formules simplifiées les trois paramètres fondamentaux qui caractérisent cet avion. Vous serez alors en mesure de juger vous même des qualités prétendues de l'appareil par comparaison avec celles des avions connus. Les éléments qu'il vous faut réunir pour cela sont les suivants :

Avec ces éléments, vous serez en mesure de calculer la surface de traînée équivalente de l'avion (c'est à dire la surface de la plaque plane équivalente perpendiculaire au vent relatif) ou S.CXO qui intègre toutes les traînées parasites, les défauts aérodynamiques, etc. Vous pourrez le faire de deux manières différentes (à partir de la finesse ou à partir de la puissance et de la vitesse) et de juger de la cohérence des chiffres avancés par le constructeur. Vous pourrez calculer la fraction de masse à emporter et juger de la capacité du constructeur à construire léger (à titre de comparaison, il faut 460 kg de masse au décollage pour emporter deux personnes à 170 km/h avec le D-18 alors qu'il faut 870 kg pour le Grob G-115 : les fractions de masse à emporter sont 0,48 pour le D-18 et 0,34 pour le Grob).
Avec la surface mouillée totale (surfaces qui "frottent" contre l'air) vous serez en mesure de comparer le coefficient de frottement de l'avion (avec l'intégration de toutes les rugosités, les ondulations de surface, les traînées de culot, le train, etc.) et la comparer avec celle d'une plaque plane parallèle au vent relatif dont on sait par les mesures en soufflerie qu'elle est égale (aux vitesses qui nous intéressent) à 0,003. L'écart à cette valeur donnera une idée de la plus ou moins bonne réussite aérodynamique de l'appareil, indépendamment de sa taille et de sa catégorie. A titre d'exemple, les planeurs sont très proches de 0,003. L'Orion tourne autour de 0,0065. Le Speed-Canard : 0,009 et le Rallye : 0,011. Les meilleurs réussites aérodynamiques se trouvent chez les amateurs avec le Lancair et le White Lightning qui se situent entre 0,0032 et 0,004 (imprécision due au manque de données fiables).

Fraction de masse à emporter :

(Me/Md)= Md - Mv/Md
avec Md masse au décollage et Mv: masse à vide.

Surface de traînée équivalente :

S.CXO = 0,785.b2.e/(f max)2
avec b : envergure en mètre, fmax (finesse max.), e = 0,6 pour une aile haute rectangulaire et e = 0,95 pour une aile basse elliptique.
ou
S.CXO = 1125.Pm.Rh/(Vmax)3
avec Pm : puissance moteur installée en ch. Rh : rendement hélice (0,8 à 0,85). Vmax : vitesse maximale sol en m/s. Vmax = 1,1.Vitesse de croisière sol à 75%. Si vous disposez de Pm, Vmax et de la finesse maximale, vous pouvez calculer "e" avec les deux formules. Si " e" sort de la plage 0,6/0,95, c'est qu'il y a vraisemblablement une incohérence des données constructeur, ce qui n'est pas rare...

Coefficient de frottement équivalent (Cfe) :

Cfe = S.CxO/SMT
avec SMT: Surface Mouillée Totale en m2.

Amusez vous à placer votre avion sur le graphique ci-joint et faites des comparaisons...