Le congrès expérimental de Vauville (1923)
Les déroulement décrit par Mr Laurent Lefilliâtre

EN TRAVAUX

 
Dans son ouvrage "Vauville, berceau du vol à voile", Laurent Lefilliâtre [1] donne un description du déroulement du congrès que nous reproduisons ici.

 

Dimanche 5 août

1er jour - L'INAUGURATION DU CAMP DE VAUVILLE.
Messieurs Aaron, conseiller de préfecture ; Blet, préfet de la Manche ; Deuve, commandant ; Groult, amiral, préfet maritime ; Mahieu, maire de Cherbourg ; Grégoire, sous préfet ; Dumont, commandant de l'aéronautique de la Manche ; Bailly, directeur des constructions navales ; la municipalité, les membres du comité de vol à voile et un certain nombre d'officiers de tout grade ont pris, après le déjeuner, les cars et autobus mis à leur disposition par M. Félix, patron de la société des automobiles de la Manche. Vers 15 heures, Messieurs Hébrard et Carlier reçoivent les autorités sur le camp où une foule nombreuse s'est réunie. Aussitôt, on procède à la visite des douze appareils présents à VAUVILLE. Ce sont : Le biplan Nessler, l'oiseau bleu Landes - Derouin, le biplan Tomasini, le monoplan André Thomas, le planeur Bonnet - Mignet, le petit planeur Mignet, les deux moto-aviettes Dewoitine, le monoplan Henry Grandin, le tri plan Hélen - Herremans - Lamart, le triplan Lucien Lefort. Le planeur Peyret est encore remisé à Biville, on attend Maneyrol.
Les essais. La visite terminée, la foule se masse le long de la grande allée transversale qui coupe le terrain en deux. Un gros mouvement de curiosité se manifesta dès qu'apparût le beau monoplan Thomas. On peut préciser que cet appareil a été construit dans la salle à manger de son inventeur. Avec ce planeur, Hemmerdinger tente par deux fois de s'envoler mais sans succès. Toutefois, il réalise son vol de qualification en planant 10 secondes sur une longueur de 100 mètres. Le vent à ce moment, et jusqu'à la fin de la journée, n'est que de deux mètres/seconde. Puis, ce fut au tour d'Eric Nessler de tenter sa chance mais il ne put, comme le précèdent, décoller. Les manoeuvres de lancer au sandow, effectuées par une équipe de matelots, ne manquèrent pas d'intéresser les curieux. Quant à l'adjudant Descamps, il décida, lui aussi, d'effectuer un vol de démonstration avec sa moto-aviette Dewoitine.
Le minuscule moteur, posé comme une verrue sur le nez de l'aviette rouge, aux ailes d'argent, ronfle. "Ecartez vous"crie Descamps. Et voici l'oiseau partit, se dirigeant vers la mer, soudain, il vire de court, fait le tour du camp, puis s'abaisse vers les tentes, causant une seconde, quelque effroi dans l'assistance. Puis la moto-aviette reprend de la hauteur et continue sa randonnée. Viens le moment d'atterrir, la place est limitée, il faut glisser de très loin vers la piste. Descamps arrive à la hauteur des tentes, il brise son vol en deux détours rapides puis s'abaisse harmonieusement vers le sol, l'émotion est grande. Un des deux fils du pilote s'écrie: "Mon papa! mon papa va tomber à l'eau !". Mais non, le planeur s'est arrêté dans les bruyères. Descamps saute de l'appareil, acclamé par les spectateurs, mais l'aviateur modeste se dérobe aux éloges. Il vient d'effectuer un vol, sur sa moto-aviette Dewoitine - Vaslin, de 10 minutes 35 secondes. Le vent ne se décidant pas à se montrer favorable , la série des expériences s'arrête là.
Sous la tente. Le public se répand dans les tentes Brisset et dans l'annexe de l'Hôtellerie du Bienheureux Thomas. Sous la tente Dickson réservée au comité, les invités sablent le champagne, en écoutant les intéressantes allocutions de Messieurs Carlier, Grégoire et Mahieu. On annonce la venue d'une parachutiste, Mademoiselle Emma Leroux, elle passera une huitaine de jours sur le terrain, en qualité de spectatrice. Soudain, quelqu'un fait irruption sous la tente en s'écriant : "C'est curieux, voilà une heure que je cherche quelqu'un. Je voulais faire un tour en moto -aviette et je ne trouve personne pour me conduire à la tente" . Allons, ne te fâches pas, Georges. Tu arrives au champagne, siffle une flûte! Le visiteur se calme et redevient bon enfant. L'homme qui s'impatientait, qui voulait voler à tout prix, c'est Georges Barbot.
Un atterrissage mouvementé à Querqueville. Vers 11 heures trente, on voit apparaître dans le ciel, en direction de Vauville, un biplan rouge qui après avoir décrit autour de Querqueville, une courbe gracieuse, vint se poser doucement sur le sol, juste en face du restaurant du grand polygone. L'appareil roula une vingtaine de mètres, mais à cause de l'état déplorable du terrain, il fit quelques bonds. L'avant ayant buté dans un trou, les roues se bloquèrent et la queue de l'avion se redressa, heureusement l'appareil ne capota pas. Seul, le mécanicien portait au dessus du nez une légère entaille. L'avion qui avait quitté Villacoublay à 9 heures 10 ce matin, avait à son bord M. Félix Amiot, qui voulait se rendre au congrès de Vauville.

Lundi 6 août

2e jour - FAUTE DE VENT, ON TRAVAILLE SOUS LES TENTES.
La deuxième journée du congrès n'est pas plus favorisée, que la première, par le vent. Celui-ci n'a pas dépassé la vitesse de 2 mètres par seconde. A certains moments, on a vu régner sur la lande le calme plat, phénomène exceptionnel dans cette région. Dans ces conditions, il ne pouvait être question de commencer les expériences de vol à voile. Seul, le monoplan Thomas fut sorti de son hangar, non pour voler, mais pour expérimenter un mode de lancement, innové par le constructeur. Le dispositif dont il s'agit repose, sur une plate-forme fichée dans le sol, et à laquelle est fixée une pédale, qui permet de détendre deux ressorts, qui font ouvrir un crochet et partir l'appareil, retenu par un sandow.
L'expérience a été très satisfaisante. Barbot passe son après midi à mettre au point le moteur de sa Dewoitine. On a déplacé trois tentes, afin d'élargir et d'approfondir la piste d'atterrissage. Les pilotes n'auront plus à craindre les fâcheuses rencontres. La presse parisienne commence à multiplier le nombre de ses envoyés spéciaux, les journaux étrangers se font représenter. On peut voir sur le terrain un journaliste chinois. Et puis, on peut croiser Zut qui a sa place parmi les pionniers de l'air. Zut est en chair, en os et en poil, c'est un joli fox mais aussi, un chien parachutiste. Zut appartient à Jean Chalando de l'Aéro Club de France, rédacteur à "L'aéro sports".

 

 

Mardi 7 août

3e jour - DESCAMPS SUR MOTO-A VIETTE FAIT UN VOL DE 34 MINUTES ET 30 SECONDES.
En dépit du temps trop calme, pour permettre la moindre tentative de vol sans moteur, il y eut ce jour une certaine animation au camp de Vauville. On a pu voir défiler un certain nombre d'autos ainsi que des cyclistes, bravant l'ardeur du soleil. On remarque le désappointement de ces randonneurs venus admirer les expériences, qu'ils espéraient. Le planeur Thomas monté par Hemmerdinger a fait une sortie. Le vol a été très beau mais n'a duré que 15 secondes. Ensuite, on a expérimenté la maquette de l'oiseau bleu,jmaginée par les frères Landes. Lancé en cerfvolant, l'appareil réduit a volé d'une façon parfaite, donnant à ses auteurs une grande confiance. Barbot a tenté, toute la journée, de mettre au point le moteur de sa moto-aviette Dewoitine D7 / Numéro 3. Vers 19 heures, l'aviateur a dû, à regret, ramener sous la tente l'oiseau capricieux. Entre temps, la moto aviette D7 / Numéro 4 Dewoitine avait pris l'air, montée par Descamps. Elle a fait, au dessus de la campagne verte et de la mer calme et opaline, une gracieuse randonnée. En chemin, il rencontre les hydravions de l'aviation maritime qui viennent de survoler les îles Anglo-Normandes. Descamps doit s'y prendre en trois fois 'pour atterrir. Au deuxième essai, il redresse son appareil à temps, qui a failli capoter à flanc de coteau. Le troisième est bon, il atterrit d'ouest en est, laissant la mer derrière lui. On vit la moto-aviette trépigner dans la cendre noire, se dresser et courir sur le terrain jusqu'à sa tente. Descamps vient de voler pendant 34 minutes et 30 secondes. Le lieutenant Joseph Thoret qui avait renoncé de venir à Vauville, est arrivé ce jour, il volera sur le nouveau planeur Bardin.
On prie le saint de Biville. Le Bienheureux Thomas de Biville reçoit chaque jour la visite des congressistes du camp de Vauville. Les pionniers implorent le Bienheureux afin qu'il daigne leur accorder un peu de brise. Une coïncidence veut que près du Bienheureux Thomas, se soient installés le constructeur Thomas et le pilote Tomasini.

Mercredi 8 août

4e jour - BARBOT PREND L'AIR SUR SA DEWOITINE.
Vauville est toujours sous un régime anticyclonique, malgré tout, le vent souffle mais il vient de l'Est. Dans la matinée, seul Barbot prit l'air à 11 heures 37, sur sa moto aviette Dewoitine - Salmson. L'oiseau suivit la côte jusqu'à Dièlette puis revint atterrir non pas au camp, mais à Vauville même, sur la plage, à deux pas du restaurant où le pilote se sustenta. Et ce fut tout pour le matin. L'après midi, on reprit les essais de réglage des planeurs. On lança notamment, à plusieurs reprises, l'oiseau bleu des frères Landes qui porte le numéro 2. A priori, ce planeur ressemble à un jeu d'enfant, mais n'en est pas moins un appareil très étudié et capable d'emporter un homme sur un parcours aérien de 150 mètres et davantage. L'oiseau bleu réussit, après quelques tentatives infructueuses, à effectuer en tournant le dos à la mer et en faisant face au vent d'Est, un petit vol de 33 mètres d'une durée de 5 secondes. Cet essai se serait prolongé sans une faute de manoeuvre. Les atterrissages ont été néanmoins assez rudes, mais, quand le lieutenant Thoret a essayé l'appareil, l'oiseau bleu s'est bien comporté. Ces essais, effectués par un vent horizontal de 2 mètres 50 par seconde, ont donné confiance aux trois frères Landes qui, demain, descendront leur oiseau sur la plage. De retour de Biskra,Thoret attend son heure. Interviewé,Thoret présente sa conception du vol à voile qui se défInit sous trois formes : Le vol statique, le vol dynamique, le vol par courants thermiques.

Jeudi 9 août

5e jour - LE VENT D'OUEST FAIT SON APPARITION.
Ce matin, tout le monde a retrouvé le sourire car le vent a carrément tourné à l'Ouest. On va pouvoir, enfIn, expérimenter les planeurs qui sommeillent sous les tentes. Descamps qui s'était promis de faire une sortie, en vue de repérer Cherbourg, doit renoncer à cause de l'épais brouillard qui fait son apparition subitement. L'oiseau bleu des frères Landes, le planeur Bonnet - Mignet, la chauve-souris de Grandin et le biplan Nessler fIrent quelques essais, mais le vent n'était pas suffisant pour permettre à ces appareils de se qualifter. Vers 13 heures, au moment où le camp était à peu près désert, Hemmerdinger monta dans le planeur Thomas, et aidé de quelques matelots, il partit dans l'intention d'éprouver, une fois de plus la légèreté, la stabilité de l'appareil et le fonctionnement de ses commandes. Le vent soufflait à 2 mètres 50 par seconde, c'était peu. Néanmoins, le Thomas ayant roulé un instant, s'enleva et ma vers la mer.
Le départ avait été si parfait, que l'équipe qui s'était attelée au sandow ne put retenir ses applaudissements. Le planeur se dirigea vers le Nord, puis au bout de deux minutes et trente secondes de vol, au moment et à l'endroit choisis par Hemmerdinger, il vint se poser sur la plage. Il a accompli, en ligne droite, une distance de 1400 mètres. Le but que s'était fixé Hemmerdinger, n'était, ni un vol de distance, ni un vol de durée, mais d'éprouver la valeur des courants ascendants et il en parla avec le même enthousiasme que Maneyrol. Pour rapprocher son appareil du Petit Thot, Hemmerdinger vola le long des petites dunes de sable, où il constata avec surprise que l'ascendance existait encore, ce qui lui permit de réaliser un palier de 700 à 800 mètres en longeant la mer. Ce vol s'effectua à une hauteur faible mais rigoureusement égale. La nouvelle de cette courte mais intéressante performance, a causé une vive satisfaction chez les congressistes qui auraient pu tenter d'autres expériences si le brouillard opaque ne s'était manifesté une seconde fois.
L'amiral anglais Brancker, ministre de l'air, arrivera à VAUVILLE par la voie des airs entre le 10 et le 14 août. Il rencontrera probablement M. Laurent-Eynac, sous secrétaire d'état à l'aéronautique. A Vauville, des observateurs étrangers sont déjà sur place, notamment un plubiciste japonais et un délégué du ministre des travaux publics de la république tchécoslovaque, M. Hoff.
Vauville au cinéma. M. Maxime, l'opérateur de Pathé Cinéma, est arrivé au camp de Vauville où il va prendre des films dès que les vols vont commencer. Zut, le chien parachutiste, a posé pour l'écran, il portait sur le dos, un minuscule ouistiti et était lui même perché sur le dos d'Hemmerdinger, installé dans le planeur Thomas. Ce joli groupe a été également photographié par M. Vaslot. Les premières photographies aériennes de La Hague ont été prises, probablement, à cette époque.

Vendredi 10 août

6e jour - VOL STATIQUE ET VOL AÉRODYNAMIQUE.
Une jolie brise d'Ouest créa, le long des monticules qui longent la baie de Vauville, un courant ascendant qui a permis à plusieurs appareils d'évoluer à tour de rôle sur la lande. Le vent fut variable, sa vitesse alla de 4 à 6 mètres par seconde pour finir à 2 mètres.
Les moto-aviettes. Barbot, dont son aviette était restée au village de Vauville, a fait un beau vol d'une demi heure avec l'intention de rechercher les zones favorables d'ascendance. Il survola le camp puis s'éloigna légèrement et revint en vol plané vers son point de départ. Il atterrit dans le pré de la Haute Couture où, six mois plus tôt, Maneyrol, affrontant pour la première fois le fameux "trou" de VAUVILLE, vint se poser sans la moindre incidence. Descamps fit également un vol sur sa moto-aviette Dewoitine. Il continua d'étudier les courants aériens, suivit la côte, puis piqua sur Cherbourg. Cherbourg qui se prépare à fêter les as du vol à voile. Descamps rencontra en route un hydravion de la marine, puis, rallia le camp de VAUVILLE.
Essais de voiliers. L'appareil Mignet et le biplan Sablier firent quelques essais. Lancés en courant par un pilote, auquel manquaient peut-être certaines qualités d'acrobatie, mais surtout par un vent obstinément faible, ces appareils ne parvinrent pas à se qualifier. Le biplan Nessler et l'oiseau bleu Landes firent plusieurs tentatives. Rappelons que le congrès est avant tout expérimental.
Une série de vols du planeur Thomas. Profitant du courant ascendant, Hemmerdinger a fait vers 13 heures, une première sortie à bord du planeur Thomas. Elle a duré, une minute et demie. L'appareil est revenu atterrir à son point de départ. La deuxième randonnée a duré 2 minutes et 15 secondes. Cette fois, Hemmerdinger est allé se poser sur la plage où il va tenter quelques vols aérodynamiques. Six petits vols furent exécutés sur la plagé, à des hauteurs variant entre 50 centimètres et quatre mètres. Le premier vol fut de 12 secondes, le second de 12, le troisième de 14, le quatrième de13, le cinquième de 13 et le sixième de 8 secondes. Un essai de vol avec passager eut lieu. Le monoplan Thomas fut ramené à sa tente, à travers dunes et landes par le tracteur à chenilles Citroën.
Nouveaux appareils. Deux planeurs Dewoitine sont arrivés aujourd'hui à Vauville.
Accident. Une collision s'est produite, le soir, entre un autocar du service de Vauville et un tramway, rue Gambetta. Il n'y eut que des dégâts matériels.

A VAUVILLE
A la tente Brisset
On trouve chaque midi d'excellents repas chauds, composés de :
Hors-d'oeuvre, Entrée,
Légumes, Rôti,
Dessert et Fruits
Prix (Boisson Comprise) : 10 francs.
Toute la journée: Collations et Consommations de premier choix.

Samedi 11 août

7e jour - MONTAGE DU PlANEUR DEWOITINE.
Venant de Londres, le major Wright, pilote de l'appareil Wren, est arrivé au camp de Vauville avec l'ingénieur -constructeur Manning. Ils ont visité avec intérêt tous les appareils et ont fait des compliments chaleureux au comité. Dans la soirée, un hydravion anglais, Aéry numéro 2, est venu amerrir dans l'anse Saint Martin. A son bord se trouvaient, le contre-amiral Fisher, qui vient chaque année villégiaturer dans La Hague, deux officiers, un matelot de T.S.F. et un mécanicien. L'amiral s'est rendu à Vauville tandis que l'hydravion regagnait Cherbourg.
Aujourd'hui, le vent était à peu près insignifiant, il venait de l'Est et n'était donc pas utilisable par les planeurs. Un seul vol a été réalisé par Barbot, en moto-aviette. Le pilote s'est rendu de Vauville à Siouville, en survolant les dunes qui séparent les deux localités. Puis, son moteur menaçant de le lâcher, tournant à 1200 tours / minute au lieu de 1800, Barbot est revenu à Vauville, en optimisant au mieux les courants ascendants.
La révélation de la journée a été le montage du planeur Dewoitine. Ce planeur est conditionné pour essayer les vols par vents horizontaux. Son coefficient de sécurité est 7. Il peut emporter la charge d'un passager. L'appareil sera essayé dans les courants ascendants, puis sur la plage par vent horizontal. Il lui faut un vent de 8 mètres par seconde, pour partir. M. Dewoitine, grand constructeur d'avions, a bien compris l'intérêt du vol à voile et donne, ainsi, à ses avions, l'aérodynamisme qui leur fait tant défaut.
Le lieutenant belge Victor Simonet, malade, a été contraint de rester à Montreuil.

Dimanche 12 août

8e jour - L'OISEAU BLEU DES FRÈRES LANDES SE QUALIFIE.
En dépit de l'inclémence du vent, le nombre de visiteurs amplifie de jour en jour. De bonne heure le matin, le vent soufflait de l'Est et ce n'est que le soir qu'il passa à l'Ouest. Hélas, tellement faible, qu'il n'aurait pas permis à un voilier de planer.
L'Oiseau Bleu change de perchoir. Après leurs essais infructueux, les trois frères Landes ne désarment pas. C'est dans la matinée qu'ils ont transporté leur appareil sur le plateau des "Epinettes", situé sur la commune de Vauville, à environ 1 kilomètre du camp. Là, Hemmerdinger s'installe dans la carlingue et prend son vol au sandow. L'Oiseau Bleu s'est élevé par un vent presque nul, le commandant Destrem l'a constaté officiellement, a parcouru, ensuite, une distance de 200 mètres en 13 secondes, 2 cinquièmes et s'est posé dans un ravin. C'est ainsi que les Landes se sont qualifiés.
Descamps et Barbot. Descamps à 16 heures 20 et Barbot à 16 heures 25, tentèrent sur leurs moto-aviettes Dewoitine, l'épreuve de Basse-Normandie. Celle-ci comporte un vol de hauteur. Les deux pilotes avaient emporté le barographe réglementaire, mais l'état des appareils ne permit pas à l'épreuve d'avoir lieu. Les deux appareils rallièrent le camp, l'un assez brusquement. De puissants porte-voix ont été installés sur le camp, pour aviser les curieux, des dangers qu'ils peuvent courir au moment où l'avion atterrit.
Le pilote Marcel Doret, engagé chez Dewoitine, est arrivé à Vauville.

 

 

Lundi 13 août

9e jour - LA VISITE DE M. LAURENT-EYNAC.
M. Laurent-Eynac, sous-secrétaire d'état à l'aéronautique, est arrivé aujourd'hui en gare de Cherbourg, où l'attendaient les autorités. Le ministre et sa suite ont été conduits à l'hôtel de ville. Le colonel, le drapeau, la musique et une compagnie du 1er colonial forment la haie sur le passage de M. Laurent-Eynac et ses hôtes : L'amiral Groult ; M. Blet, préfet de la Manche ; M.Albert Mahieu, maire de Cherbourg ; M. Sauviat, sous-préfet de Valognes ; M. Grégoire, sous-préfet ; M. Lemoigne, député ; le général Lebel ; Messieurs les consuls ; Messieurs Libor, Leclerc, Burnouf, adjoints ; Messieurs Carlier, De Monge, membres de l'Association Française Aérienne. La fanfare du 1er colonial exécute "La Marseillaise". Les membres du conseil municipal, du conseil général et d'arrondissement de la chambre de commerce, les consuls, les chefs de service de la marine et de la ville, etc ... sont tour à tour présentés à M. Laurent-Eynac. Dans le salon de l'impératrice, un lunch est offert par la municipalité au cours duquel, M. Mahieu, prend la parole : "Cherbourg, en ce moment, Monsieur le Ministre, fête de son mieux l'aviation. Si je suis particulièrement honoré de vous recevoir au nom de mes citoyens, j'éprouve un vif plaisir à saluer en vous un ancien collègue, pour lequel, j'ai toujours éprouvé et conservé la plus grande sympathie. Je regrette seulement que vous n'ayez pas apporté avec vous ce vent si précieux pour les aviateurs de Vauville, ces bourrasques, dont Cherbourg a la réputation d'être fréquemment gratifié. Depuis que le congrès est ouvert, nous manquons de vent, et nous n'avons pas encore assisté à des expériences aussi intéressantes que celles de Combegrasse. Mais nous ne devons pas nous plaindre du beau temps, qui favorise les randonnées des touristes dans notre belle région, si digne d'être visitée et connue. Je me félicite à double titre d'avoir vu s'organiser le congrès de Vauville : D'abord en bon Français, qui s'intéresse aux choses de l'aéronautique ; ensuite en Cherbourgeois, heureux de voir que l'on visite et que l'on admire sa région. Je lève mon verre en votre honneur et vous assure la sympathie de mes concitoyens". Le sous-secrétaire d'état, dans un langage spirituel et familier, remercie M. le maire, du bon accueil qui vient de lui être fait. "Je veux remercier la ville de Cherbourg de l'effort intelligent et avisé, par lequel, elle s'est associée au progrès du vol à voile. Vos concitoyens ont su discerner l'intérêt, qu'il y avait pour eux, à favoriser l'organisation des expériences des appareils sans moteur. Nous sommes à une époque où il est difficile de trouver du vent. L'Office National Météorologique que j'ai sous ma direction, enregistre bien le vent mais n'en donne pas. Nous changerons tout cela, je l'espère ! Qu'il me suffise de dire aux aviateurs : Essayez de forcer les éléments et dès que vous rencontrerez le nommé "Éole", vous lui porterez mes instructions. C'est avec plaisir que j'ai traversé votre ville pavoisée, où j'allais d'enchantement en enchantement. Enfin, je vous rappelle que c'est à Vauville, que Maneyrol a réalisé ses belles performances et battu le record de durée du vol à voile. Nous pouvons prévoir que ces résultats seront dépassés. Je félicite votre ville d'avoir réuni les moyens, qui l'ont associée aux progrès futurs du vol à voile". Cette harangue est acclamée et l'on sable le champagne, puis les autos reprennent leurs passagers pour les transporter dans La Hague.
A vive allure, on arrive à Biville où M.l'abbé Lecoutour, maire de la commune, reçoit les visiteurs. Tous sont séduits par la bonne grâce de leur hôte, qui consent à les accompagner dans le tour qu'ils se proposent de faire dans La Hague. On file au camp Mouillard. Le vent est passé au Sud-Ouest, quelques planeurs sont sortis de leurs tentes et l'on invite Barbot à faire une démonstration. Mais la force du vent est nettement insuffisante, il atteint à peine 3 mètres par seconde.Adieu le vol à voile, le cortège poursuit sa route vers Beaumont et le Nez de Jobourg. Soudain, le brouillard fait son apparition. Après avoir visité l'anse Saint-Martin, le ministre accepte de se rendre à la propriété que possède, à Eculeville, le député Lemoigne. Le retour à Cherbourg s'effectue par Gréville, Landemer dont M. Eynac admire ses sites grandioses. A vingt heures, un banquet est offert au Ministre dans la grande salle du Casino. Après quelques discours de circonstance, M. Laurent-Eynac invite l'assemblée à boire au développement, dans la paix et pour les oeuvres de paix, des AlLES.
Le monoplan à ailes battantes Garrouste, est arrivé à Vauville.

Mardi 14 août

10e jour - M. LAURENT EYNAC PASSE LA JOURNÉE A VAUVILLE.
Dès 9 heures, la voiture ministérielle reprenait la route de La Hague, par un temps plus clair que la veille. A 10 heures, commença au camp Mouillard, la visite des 18 appareils exposés. Les mêmes autorités, que la veille, se retrouvèrent au camp de Vauville. Malheureusement, Éole est encore absent, les pavillons pendent lamentablement. Mais, tout en regrettant de ne pouvoir marquer, par sa présence, quelque belle performance, le ministre découvre les oiseaux. Devant le petit planeur Sablier, M. Eynac constate que 18 kilos peuvent en emporter 60. Sans retenue, devant les Dewoitine, il déclare :"Ce sont des merveilles". Il sait qu'en aviation aucun effort n'est négligeable, aussi prodigue-t-il à chacun les plus vifs encouragements. Enfin, le constructeur Thomas voulut expérimenter, en présence du ministre, le système de lancement de son magnifique planeur numéro 10. Ce système, comme nous le savons, admet les sandows et comporte une pédale. L'opération menée par Hemmerdinger réussit à merveille. L'appareil s'envola avec une légèreté admirable, et alla se poser gracieusement en avant du camp, à plus de 100 mètres du point de départ. A ce moment, M. Carlier annonça au porte-voix que le général Brancker, chef de l'aviation civile en Angleterre, venait d'arriver à Cherbourg, en hydravion. Malgré la brume, la traversée Southampton - Cherbourg, n'a duré qu'une heure. Barbot fit tourner l'hélice de sa Dewoitine, mais sans succès. Midi s'approchant, le Ministre et sa suite se dirigèrent vers la tente Brisset, où un banquet de 150 couverts était servi. Une auto vint déposer plusieurs passagers : Le général Brancker, le colonel Shelmadine, M. Biddlecombe et M. Scott Payne, directeur de la compagnie d'hydravions, qui vient de créer un service, entre l'Angleterre, les îles Anglo-Normandes et Cherbourg.
A midi, les convives du comité du vol à voile se trouvèrent réunis, dans la tente Lefèvre - Brisset, sous la présidence de M. Laurent Eynac. Au champagne, la parole fut donnée à M. Blet, préfet de la Manche : "C'est avec un vif plaisir, Messieurs, que je vous vois aujourd'hui au milieu de la population de La Hague, si laborieuse et si satisfaite, elle même, de vous recevoir. Mon voeu le plus cher, est que vous remportiez de votre visite, le meilleur souvenir et que vous reveniez en ce pays, sauvage d'un côté et verdoyant de l'autre. Nous avons fait un effort pour la réfection des routes. Je souhaite la réussite du congrès, oeuvre nationale qui est placée sous l'égide de M. Millerand, Président de la République. Je souhaite la bienvenue au général Brancker et porte un toast au roi et à la reine d'Angleterre.
Puis vint le tour de M.Albert Lemoigne, député de la Manche et président du conseil général, en résumé : "J'ai été heureux de voir M. Laurent-Eynac, visiter notre pays, mon pays natal où je souhaite qu'il revienne avec les attributions élargies, qui feront de lui le Ministre de l'Air. Je me félicite, qu'en attirant l'attention des touristes sur La Hague, le congrès de Vauville, contribue à la réalisation du projet du chemin de fer de La Hague, déjà compris dans le plan de Freycinet en 1877.
Le général Brancker remercie, très sincèrement, les autorités et personnalités présentes, au nom de l'aviation britannique: "Aujourd'hui, la situation politique est très difficile, mais l'amitié entre les peuples français et anglais est grande, sûre et forte. Les Anglais n'ont pas oublié la grande guerre. L'aviation, fait nouveau, intéresse les relations internationales. Aujourd'hui, nous avons pu déjeuner, ce matin, en Angleterre, partir de Southampton à 10 heures 15, et arriver ici pour faire un excellent repas français. Je suis heureux de vous annoncer que nous aurons, en Angleterre, un concours de moto-aviettes, en octobre. Nous espérons que beaucoup de Français viendront chez nous pour gagner les prix. Celui du "Daily Mail", de 1 000 livres, est réservé au vol à voile sur la plus grande distance (au moins 50 miles). Nous avons, aussi, une épreuve de consommation minima d'essence, et donnerons 510 livres à la plus petite aviette, qui fera un parcours de 30 miles. J'espère que Maneyrol, Barbot et leurs camarades reviendront à cette occasion, en Angleterre. Je compte beaucoup d'amis en France, je bois à l'amitié de la France et de l'Angleterre".
Le Président de l'Association Française Aérienne, M. Carlier, évoque dans son discours les meetings de Combegrasse, d'Itford Hill et rappelle les prouesses successives de Maneyrol, Barbot, Descamps et Thoret. Ensuite, il démontre l'intérêt du deuxième congrès. Il évoque avec subtilité l'avenir de l'aviation à faible puissance. "L'aviation commerciale facile se créera, envers et contre tout. Il ne suffit pas que nos commerçants et industriels puissent se rendre, par la voie des airs, dans toutes les capitales, il faut qu'ils puissent emprunter, pour gagner rapidement les grandes villes de France, le "Taxi Aérien", pratique et peu coûteux. Voilà ce que nous recherchons. Georges Houard a trouvé une nouvelle formule : Le tour de France aérien à l'instar du tour de France cycliste". Enfin, André Carlier soumet au ministre, l'hypothèse de maintenir à Vauville, une école d'application de vol à voile et de vol avec moteur auxiliaire.
Pour clôturer, ce fut à M. Laurent-Eynac de prendre la parole "Je félicite les organisateurs du congrès de vol à voile, de s'être si activement, associés à la belle, grande et utile oeuvre nationale. Je remercie Messieurs Carlier, Vauvrey, Hébrard, les bons animateurs de ce meeting. Quant à la suggestion, qui consiste de créer à Vauville, une école fixe d'aviation, je la retiens très volontiers, la trouvant très intéressante. Vauville est déjà consacré par les magnifiques performances de Maneyrol. De plus, le côté décor, qui n'est pas négligeable, est ici très soigné. L'idée est géniale d'introduire, dans ce cadre admirable, la production inattendue du monde moderne : L'aviation sans moteur, vous me donnerez la satisfaction de réaliser ce beau projet. M. Eynac se souvient du revirement d'opinion, qui se produisit à Combegrasse, dans le clan des indifférents et des sceptiques. Un grand mouvement populaire, suscité par ses expériences nouvelles, a grandement profité à l'aviation toute entière". Enfin, ayant porté un toast à toute l'assistance, le ministre annonce que dans une prochaine promotion, dans l'ordre de la légion d'honneur, seront compris M.André Carlier, président de l'Association Française Aérienne et M. Émile Dewoitine, le constructeur des planeurs et moto-aviettes présentés au congrès.
Deux expériences. Barbot fait un départ en moto-aviette, exécute un vol rapide avec son brio habituel puis regagne le camp. Hemmerdinger profite d'un vent de 2 mètres 50 pour partir sur le planeur Thomas ; il descend vers la mer, fait une gracieuse circonvolution et atterrit doucement sur le sable de la plage, où le tracteur va le chercher.
Départ du ministre. M. Laurent Eynac et sa suite reprennent en auto, le chemin de Cherbourg. Le ministre est parti pour Paris par l'express de 16 heures 45.
Retour de Maneyrol. Enfin, Maneyrol, le populaire Alexis est de retour à Cherbourg. Il va reprendre ses expériences sur le planeur Peyret et va essayer, également, l'appareil à moteur du même ingénieur. Maneyrol a eu le temps de saluer M. Laurent-Eynac, à son départ de Cherbourg. Puis, après avoir retrouvé ses amis et admiré la ville en fête, qui ne l'a pas oublié, il se rend au camp de Vauville où il va passer la nuit.

Mercredi 15 août

11e jour - LE JEUNE HEMMERDINGER FAIT UNE CHUTE MORTELLE.
Ce matin, le vent souffle du Nord à la vitesse de 6 à 8 mètres par seconde. Enfin, le vent "Maneyrol" est de retour. Dans l'après midi, Hemmerdinger voulut tâter l'air. Il transporta le planeur Thomas dans un champ, faisant face au vent, situé à gauche de la route qui descend vers le village du Thot, à environ 200 mètres du camp. Le planeur fut lancé au sandow. Il eut un beau départ et fut chronométré officiellement, il était alors 15 heures 15. Parvenu à une hauteur de 20 mètres, le monoplan aux ailes blanches passa au dessus de la route, s'éleva légèrement et fila vers la mer. Subitement, on le vit s'immobiliser comme s'il eut rencontré un obstacle invisible. Alors, on le vit descendre assez rapidement, comme pour atterrir puis, pris dans une rafale inattendue, il chercha à reprendre de la hauteur. Hélas, sous la force du vent, une aile se brisa et se ferma comme un éventail. L'appareil, perdant son équilibre, alla tomber à proximité de la ferme du Grand Thot. On entendit un craquement de planches. En fait, le planeur s'est abattu sur un tas de pierres dans la cour de la ferme , l'aile brisée a été retrouvée à 200 mètres de là. L'appareil est renversé, couvrant de son aile gauche le pilote, auquel on porte secours immédiatement. L'auto-chenille Citroën ramasse le pauvre Hemmerdinger, inanimé, perdant son sang en abondance, et le transporte sous le hangar de l'infumerie. Mais déjà, il est trop tard, la mort a emmené le jeune pilote. Une foule de Cherbourgeois a assisté, angoissée, à cet accident tragique. Quelqu'un n'en a pas été témoin, c'est Madame Hemmerdinger, mère de la victime, accompagnée de son jeune fils. On prépare la pauvre femme à la fatale nouvelle. Sa douleur ne peut se décrire, pas plus que celle du jeune constructeur Thomas. Jean Hemmerdinger était un jeune parisien de 20 ans, qui détenait son brevet de pilote d'avion depuis 1921. Il était alors âgé de 17 ans, l'age minimal requis pour ce type de brevet était de 18 ans. "Oser"était la devise de Mouillard, "Voler"celle d'Hemmerdinger. Il devait être incorporé sous les drapeaux en novembre prochain. C'était un homme grand, svelte, aimable, souriant, convivial ; aujourd'hui, l'Aviation française est en deuil, elle perd un de ses ardents artisans. Qui pouvait présumer cette pénible issue, c'est avec confiance, qu'il s'était installé à bord du planeur Thomas, et il n'en était pas à son coup d'essai. Jusqu'à présent, le Thomas et l'Oiseau Bleu des frères Landes, sont les deux appareils qui ont effectué le plus grand nombre de vols, courts, certes, mais encourageants. Madame Hemmerdinger, habitant rue Lagarde à Paris dans le 5', était venue au camp de Vauville, admirer les essais de son fils, l'aîné d'une famille qui compta quatre enfants, et fut réduite de moitié. Elle a vu, dans presque tous les journaux, la photo de Jean Hemmerdinger. La mort due à une fracture du crâne, a été instantanée, ainsi en a jugé le médecin de la Marine.
Maneyrol et Barbot font des prodiges. Malgré l'amertume qui règne sur le camp de Vauville, Barbot annonce son intention de "Faire tourner le moulin" de sa Dewoitine. La foule regagne le terrain d'atterrissage, soudain, un second appareil sort d'une tente : c'est le nouveau monoplan à moteur de Louis Peyret, que va monter Maneyrol. Jusqu'à maintenant, Alexis Maneyrol n'a fait, sur ce nouvel appareil, que de petits essais sans prétention, de quelques minutes seulement. L'appareil a été monté la veille à la nuit tombante. A peine Barbot a-t-il pris son vol que Maneyrol démarre à son tour. Son aviette roule dans l'herbe, sur 40 mètres, puis monte très rapidement, si vite que le public en reste stupéfié. En un clin d'oeil, le voici à 400 mètres de hauteur. Il survole la mer en direction de l'île d'Aurigny puis revient vers le camp, prend à nouveau de la hauteur, distançant très sensiblement Barbot. Celui ci gagne à son tour une belle altitude, et ce tournoi d'aigles, tout à fait inattendu, passionne les hôtes innombrables du camp. Vers 19 heures 45, Maneyrol redescend, son atterrissage est d'une précision admirable. Les roues de l'appareil touchent exactement le panneau blanc étendu dans l'herbe, et le monoplan stoppe à quelques mètres de là. Maneyrol en sort et vérifie le barographe. L'appareil indique une altitude de 2800 mètres. A 300 mètres près, Maneyrol atteignait le record d'altitude de moto-aviette, détenu par Lucien Coupet. Quelques instants plus tard, voici Barbot. Il atterrit dans d'excellentes conditions, ayant atteint en 63 minutes l'altitude de 2500 mètres. Le moteur de sa Dewoitine ne donnait pas sa puissance normale.
Alexis Maneyrol: 2800 mètres en 34 minutes sur Peyret / Sergant.
Georges Barbot : 2500 mètres en 63 minutes sur Dewoitine / Salmson.

Jeudi 16 août

12e jour - BARBOT ÉVITE DE JUSTESSE LA MARE DE VAUVILLE.
Calme journée sans accrocs, heureusement. D'abord, l'arrivée de l'appareil belge Poncelet, pourvu d'un moteur. Après avoir quitté Bruxelles pour se rendre à Vauville, par la voie des airs, cet avion à faible puissance fut arrêté à Valenciennes par la douane. Il reparti pour le Crotoy, puis fit route sur Saint-Valéry-en-Caux. Là, un accident de moteur l'immobilisa de telle sorte, qu'il fallut renoncer à faire la dernière étape. Le Poncelet a donc été transporté par bateau jusqu'à Vauville, où il est actuellement en voie de montage.
Eric Nessler sur son biplan a tenté de se qualifier. Il a fait un vol de 9 secondes et demie. Les moto-aviettes Dewoitine, pilotées par Descamps et Barbot, ont fait une sortie. Les deux As ont tâté l'atmosphère et cherché des points d'atterrissage, en vue de leurs prochaines épreuves. Le retour de Descamps, l'hélice calée, a été particulièrement émouvant. Ensuite, a eu lieu, le premier départ du planeur Dewoitine, à incidences variables et à gauchissement intégral. Barbot monte dans la carlingue. On ne voit plus que les yeux et le nez du pilote, confortablement assis dans son fauteuil. Barbot prend le départ sur le bord de la crête, descend d'abord en roulant vers le ravin puis s'arrache du sol, évite d'extrême justesse les maisons du Petit Thot, atteint les roseaux et la mare, où il risque de tomber, puis se pose au bord de la mer, après 52 secondes d'un vol qualificatif. Un tracteur Kégresse remonte l'appareil au camp, dont le premier essai a été effectué par un vent de 4 mètres par seconde.
Ensuite, les autres planeurs multiformes se livrent à de petites expériences qui amusent le public. Successivement, le biplan Nessler fit un beau bond de 4 secondes ; le Sablier fit une glissade dans la cendre de la lande brûlée ; le monoplan Hées fut également essayé et enfin, Lucien Lefort se qualifia avec un vol de 10 secondes sur l'oiseau bleu Landes - Derouin.
Aujourd'hui ont eu lieu des épreuves de stabilisation, mesure de sécurité indispensable.
Les appareils Montagne et Pocard sont arrivés aujourd'hui à Vauville. (ou bien hier ?)

Vendredi 17 août

13e jour - Une journée mouvementée.
L'âme grise, au souvenir du funèbre adieu, qu'ils viennent de faire à leur camarade Hemmerdinger, les fervents du vol à voile et de l'hélice calée regagnent le camp vers midi, où ils trouvent un bon vent d'Ouest. Sa vitesse varie entre 9 et 12 mètres par seconde, mais voici que le crachin fait son apparition, tandis que la cendre des landes vole en tourbillons, obligeant les visiteurs et congressistes à s'abriter le long des tentes, dans les caisses d'avions où chez Lefebvre - Brisset. Le planeur Hées, longue aile rigide suspendue sur un tricycle, fait un essai de très courte durée. Hées est un messin, qui en 1914 passa dans l'armée française, et ne cessa depuis de servir la France. Soudain, on annonce l'essai du planeur Poncelet. C'est Victor Simonet qui monte à bord, il n'a à son actif que deux minutes de vol à voile réalisées en Belgique. Le sandow est tendu, il est 15 heures 52, l'appareil décolle facilement et s'élève à une vingtaine de mètres, puis grâce aux mouvements imprimés au planeur par son pilote, prend de la hauteur. Le planeur part en direction de Vauville. En survolant le premier vallonnement, il tangue assez fortement puis revient vers le camp.
Simonet a oublié son barographe, il déclare par la suite s'être élevé à environ 200 mètres. Simonet gêné par le brouillard, qui vient de faire son apparition, songe à atterrir. Il survole le camp, descend, touche terre et repart emporté par le courant ascendant. Maintenant, il flIe vers la mer et décide d'atterrir sur la plage, non loin des vagues furieuses. Ce fut un soupir de satisfaction quand on vit l'aviateur sortir de son planeur. Ce dernier fut conduit dans les dunes et mis à l'abri. Il vient de réaliser un vol de 47 minutes et 35 secondes. La performance du Poncelet a été limitée par l'arrivée du brouillard et de la pluie. Pour Maneyrol "Pas de vue, pas de vol", pourtant impatient de pouvoir éprouver à nouveau, les qualités de son planeur. Le public demeure sur les lieux stoïquement, malgré la poussière noire qui brûle les yeux, charbonne les visages et abîme les vêtements. Le planeur Peyret recevait les derniers soins de son constructeur et de son mécanicien, M. Rousseau. Malgré le temps brumeux, un homme veut voler, c'est François Decamps. Il fait sortir le planeur Dewoitine numéro 2 par les matelots. Le monoplan est amené au perchoir, on tend le sandow. Descamps avait d'abord demandé un passager pour occuper la deuxième place, mais finalement, il décide de partir seul. Pour tendre les câbles, les matelots doivent faire quelques mètres de course sur la pente du Thot, celle qui se déroule sur une longueur de 112 mètres. L'appareil lancé fait un bond, puis veut se reposer sur le sol. Il ne le peut, la déclivité du terrain étant très sensible. La descente continue, puis l'appareil s'enfonce toujours dans le ravin, il n'est plus visible. Soudain, un bruit de caisse qui se brise, Descamps est tombé. Sur la ferme peut-être?
Les habitants sortent en effet de leur demeure, le bruit a été si fort qu'ils ont cru qu'on traversait leur toiture. La foule angoissée, dévale le Thot, un spectacle stupéfiant s'offre à ses yeux. Descamps saute dans un champ, signale qu'il est sain et sauf. Quant à l'appareil, il est accroché dans un arbre et gît, brisé, déchiré, une aile accrochée dans les branches. Le choc a été formidable. Seul, un miracle a pu sauver Descamps, et ce miracle, il le doit à son sang froid et à sa présence d'esprit. "L'appareil n'était pas au point, je suis parti exactement comme Barbot, hier. J'ai senti que le planeur n'obéissait pas, la descente a été rapide et puis, à peu près, à mi côte, un choc s'est produit à l'intérieur de l'appareil. Dés ce moment, l'accident était inévitable, quelque chose s'était déjà brisé.Je piquai du nez sans pouvoir me relever, je suis frit. Alors, je cherchai à tomber le mieux possible. Il y avait deux beaux ormes au bas du grand Thot, je me jetai dessus. Les ailes de mon planeur se brisèrent, mais je n'avais rien de cassé. Je sautai dans l'herbe. Tout est bien qui finit bien, mais il n'y a rien à faire de l'appareil nouveau, tant qu'il n'aura pas été mis au point". C'est aussi l'avis de Barbot, qui la veille, a confessé avoir bien craint de se casser les reins en expérimentant le Dewoitine Numéro 1. L'excellent Descamps fut félicité par tout le monde, puis ayant rallié le camp, il fut ausculté par le médecin de l'ambulance qui lui conseilla de prendre du repos. Mais déjà, il reparlait de sa moto-aviette. Sous la pluie et dans la brume, les spectateurs de cette chute vertigineuse regagnèrent la ville, méditant de l'exemple de courage et de ténacité que nous proposent ces hommes qui, pour embellir la vie et élargir le champ des possibilités scientifiques, jouent, le sourire aux lèvres, avec la mort. Leur devoir les requiert comme une passion, comme un grand rêve. Il semble bien que le Dewoitine numéro 1 ne fera d'essais que sur la plage. Le pilote Barbot explique que les innovations hardies, apportées à l'appareil le plus récent, rendent son expérimentation dangereuse. La configuration du terrain de Vauville n'est pour rien dans l'accident, au contraire, cette région se prête parfaitement au vol à voile.
Les obsèques de Jean Hemmerdinger mort pour la science.
Ce matin, toute la colonie de Vauville a pris le chemin de Cherbourg, pour accompagner jusqu'à la gare, la dépouille mortelle de l'infortuné Jean Hemmerdinger. A 9 heures 30, le corbillard, couvert de fleurs et de couronnes, quitta l'hôpital de la rue Jean Fleury. La mère de Jean et son jeune frère suivent le convoi en automobile avec Madame Carlier. Les cordons du poêle sont tenus par Messieurs Maneyrol, Descamps, Thomas, Thoret, Mignet et Pignetti. Le convoi se dirigea vers la gare où, devant le fourgon mortuaire, Barbot prit la parole: "Il m'est particulièrement douloureux de m'approcher de cette tombe, si prématurément ouverte pour t'adresser mon cher Hemmerdinger, le coeur serré et l'âme remplie d'une infInie tristesse, au nom de mes camarades et de moi-même, l'irréparable, l'ultime adieu. Fauché en pleine jeunesse, alors qu'animé de la foi la plus ardente, plein de courage et plein de fougue, tu t'envolais vers la célébrité, ta mort nous laisse une impression d'angoisse et de tristesse profonde, alors que la gloire allait te sourire et bientôt te couronner. Nous avons tous ici apprécié tes qualités si nombreuses : Ton sang froid raisonné, teinté cependant d'audace héroïque, ta modestie professionnelle, ta fougue que te donnait la force de tes vingt ans, et à côté de celles là, les qualités fondamentales sur lesquelles reposent une véritable âme d'homme : Générosité, altruisme, et amour filial. Plein de confIance dans ta destinée, tu as déployé tes ailes au dessus de l'abîme, et le sort implacable n'a même pas été attendri par ta belle jeunesse. Tous ses camarades, Madame, sont près de vous et votre douleur est la notre. Je sais, Madame, combien ce fils vous était cher et combien sa perte vous est cruelle. Je ne chercherai, cependant, pas des paroles palliatives, car il est des chagrins qu'on ne console point. Pleurez donc, Madame, ce fils qui vous a été arraché. Pleurez avec toute la violence dont est capable un coeur de mère. Cependant, au moment de lui donner le dernier adieu, au nom de tous mes camarades, je vous dis : Soyez fière, Madame, car votre fils est tombé pour la science française, face au soleil, en plein ciel de gloire. Et toi mon cher Hemmerdinger, tu as planté un douloureux jalon de plus sur la route du progrès. C'est de ces pierres noires qu'est semé le chemin de l'aviation qui, par étapes cruelles, grandit et se perfectionne. Hemmerdinger, pilote remarquable, camarade charmant, soldat de l'air émérite, au nom de mes camarades, je te pleure et te salue bien bas".
Quand M. Carlier voulut adresser, au cher petit pilote disparu, l'hommage suprême et douloureux de l'Association Française Aérienne, il ne put retenir ses sanglots. L'assistance violemment émue se retira. Le convoi funèbre a été dirigé sur Paris. Les obsèques auront lieu lundi à 10 heures au cimetière d'Ivry, où le comité du meeting a acquis une concession pour la victime. Une souscription est ouverte en faveur de la famille Hemmerdinger. M. Hébrard a reçu en quelques instants plus de 700 francs.
Les projets de Descamps.
Aussitôt après le congrès de Vauville, l'adjudant Descamps partira en Tchécoslovaquie avec deux planeurs et une moto-aviette Dewoitine, pour y organiser une école d'aviation. La Tchécoslovaquie, a d'ailleurs envoyé, un délégué, M. Hoff, du ministère des travaux publics.

Samedi 18 août

14e jour - BEAUX VOLS DE MANEYROL ET SIMONET.
Dans l'après-midi, Simonet décide de partir sur son solide planeur aux ailes rigides. Le départ est magnifique, l'ascension impressionnante. Le planeur est en l'air, il avance vers la mer en direction de Biville, puis revient vers le camp, en ayant soin de prendre de la hauteur. Le vent d'Ouest qui soufflait, il y a quelques heures, à 14 mètres / seconde est tombé à 10 - 12 mètres / seconde. L'appareil est toujours très stable. Parfois, se laissant transporter par le vent, il traverse le camp en diagonale à grande allure. Tandis que le pilote belge se livre aux agréments de la balançoire aérienne, sur un parcours d'environ deux kilomètres, Maneyrol s'apprête à voler, soulevant naturellement un vif mouvement de curiosité parmi les spectateurs de plus en plus nombreux. Peyret vérifie les commandes de son tandem qui n'a pas volé depuis l'hiver dernier. Tandis que l'on prépare le sandow et l'appareil à déclic, qui doivent faire partir le planeur Peyret, le Poncelet se rapproche de la terre, pour marquer le moment où il bat son propre record de 47 minutes. Il repart vers Biville et continue son va et vient gracieux. Le Poncelet traverse encore une fois le camp et s'abaisse vers la lande. Cette fois il va atterrir, manoeuvre très délicate, qui la veille avait échoué, au moment où le vent reprenait l'oiseau. Il fait plusieurs virages à droite et à gauche et enfin le planeur roule sur le sol. Des matelots se précipitent à sa rencontre, l'un d'eux s'abat sous une aile, un autre s'oppose à ce que l'alérion continue sa course. Simonet se dresse sur son appareil, il a volé pendant 1 heure, 2 minutes, 3 secondes et 1/5. Alexis est prêt, il a passé sa combinaison et son passe-montagne. On tend le sandow, le vent est de 10 mètres mais souffle par rafales. Le départ est émouvant. Il semble que le Peyret basculant va imiter la dégringolade de la veille. Mais Maneyrol est maître de ses mouvements, il se laisse aller jusqu'à hauteur de la plage puis avec ce merveilleux mouvement dont il a le secret, il se relève, gagne de la hauteur et me vers Vauville, vieille habitude vite reprise. Le trou de Vauville est là, au fond duquel le "Fauteuil d'Abraham" attend le passage audacieux. Maneyrol connaît trop l'embûche qui lui est tendue pour s'y engager. Avec d'infmies précautions, il s'élève, tâte l'ascendance, s'approche du trou comme une souris d'un piège, puis il retourne vers le camp toujours en longeant la mer. Longtemps, il vole ainsi à une bonne hauteur, tandis que la foule se distribue entre les attractions de la journée: L'oiseau Landes, le planeur Hées, la mouette de Grandin, le Garrouste, et autres. Maneyrol a volé jusqu'à près de 20 heures. Son atterrissage, presque au point de départ, est admirable de précision. La durée du vol a été de 2 heures et 13 minutes. Le record de Simonet est battu.
Le colonel Renard, président du jury, est arrivé à Vauville. Cette personnalité n'est autre que le frère et collaborateur du créateur du premier dirigeable "La France", du train Renard, etc ...
Le monoplan Bardin, que pilotera le lieutenant Joseph Thoret, est à Vauville.

Dimanche 19 août

15e jour - BRAS DE FER ENTRE MANEYROL ET SIMONET.
Dès 8 heures trente du matin, le lieutenant Simonet dont l'intrépidité et la ténacité ont été très remarquées, décide d'entreprendre une promenade aérienne. Venu de Bruxelles avec l'intention de ne faire que de la moto-aviette, un accident de moteur l'a contraint à revenir au vol à voile. Donc à 8 heures trente, heure à laquelle le camp de Vauville est encore en sommeil, Victor Simonet monte dans son Zingue. Le vent d'Ouest a une force de 6 à 7 mètres par seconde. Après un beau départ, le planeur Poncelet prend de la hauteur. Il fait des vols directs d'un bout à l'autre du camp, puis, au bout d'une heure de vol, Simonet tente de s'approcher du trou de Vauville.
Un remous le fait descendre rapidement vers le champ de la "Haute couture". Il se pose dans les herbes, où il faut aller le chercher, puis saute de l'appareil, il vient de voler pendant 59 minutes. Simonet vient de reprendre l'avantage sur Maneyrol. Maneyrol ne peut laisser l'écart subsister, "Je monte" dit-il. Mais à ce moment, un coup de clairon retentit. Midi, la soupe! "Bah" se dit Alexis, "je reviendrai tantôt, il ne faut pas retarder le déjeuner des camarades". Et l'après-midi, comme s'ils s'étaient donné rendez-vous, Maneyrol et Simonet se retrouvent sur le terrain, prêts à voler. Tous deux font un excellent départ. Le vent est bon, la brise solidement établie, faisant claquer les pavillons du camp qui sont aujourd'hui presque en lambeaux. Les deux pilotes semblent autorisés à poursuivre leur promenade dominicale jusqu'à la nuit tombante. Averti par l'exemple de la matinée, Simonet fait sagement la balançoire tandis que Maneyrol tente une percée sur Vauville. Puis, les deux alérions vinrent atterrir sur le camp à quelques minutes d'intervalle. Le résultat étonna quelques uns. Sirnonet se classait premier ayant volé 2 heures, 59 minutes et 13 secondes ; Maneyrol, second, avec 2 heures, 39 minutes et 48 secondes de vol. Simonet l'emporte pour l'instant.
Le très léger biplan d'Eric Nessler et le planeur Mignet ont tenté une sortie, mais n'ont réussi qu'à rouler jusqu'à la pente, où ni l'un ni l'autre se sont risqués. Le triplan Hélen - Herremans - Lamart a été descendu dans les dunes pour faire des essais. Le planeur Dewoitine de Descamps, brisé vendredi dans l'accident, demeure toujours en débris entre les deux arbres contre lesquels il s'abîma.
On peut dire qu'un match de durée est engagé entre Maneyrol et Simonet. Ce dernier mérite de chaleureuses félicitations. Quant à Maneyrol, il n'a pas dit son dernier mot. On attend avec impatience le moment de voir s'envoler le planeur Bardin piloté par Joseph Thoret. Celui ci attend son heure!

 

Lundi 20 août

16e jour - TROIS VOLS EN PLEIN BROUILLARD.
A 6 heures du matin, M. Lebreton, rédacteur du journal "L'auto", emmène dans sa voiture, Maneyrol, au camp de ses exploits. A Vauville règne un brouillard épais qui paraît de mauvais augure. Mais Maneyrol entend faire une sortie, en homme qui sait saisir l'occasion et profiter du vent. Avec un très petit nombre d'aides, il amène son oiseau à son habituel perchoir, prépare l'appareil de lancement, s'affuble de sa tenue coutumière et monte dans son alérion Peyret. Départ parfait, il est 7 heures 25. Après avoir décrit quelques évolutions préliminaires, l'appareil gagne de la hauteur. Sa forme familière aux yeux des Vauvillais, s'estompe dans la brume. Maneyrol vole et pour longtemps sans doute. Stupéfaction de Simonet, lorsqu'en arrivant au camp, où il paraissait généralement le premier, il apprend que son rival est déjà en l'air. Vite, il court à son planeur qu'il met rapidement en place. A 9 heures Il , il part à son tour. Hélas, le maudit brouillard de La Hague épaissit. A peine les aperçoit-on. Leur vol inquiète les rares témoins du départ ; en toutes choses, il faut considérer la fin, en l'occurrence l'atterrissage. En se rencontrant à une vingtaine de mètres l'un de l'autre, ils échangent quelques paroles puis décident de ne plus se voir sous peine de danger. Maneyrol s'approche du trou de Vauville et atterrit près du château, dans le champ de la "Basse couture". Quelques instants plus tard, le planeur Poncelet qui s'est davantage écarté du camp Mouillard, descend au pied d'une falaise et atterrit près du rocher de la Crèque, battu par les vagues. Tous deux sont partis par un vent de 9 mètres par seconde. Maneyrol a volé pendant 2 heures et 40 minutes, Simonet pendant 54 minutes. Maneyrol redevient premier avec une durée totale, des vols effectués, de 7 heures, 33 minutes et 16 secondes. Simonet dans ses cinq vols a tenu l'air pendant 6 heures, 41 minutes et 8 secondes. Néanmoins, il reste le champion du vol de la plus grande durée et aussi de la plus grande hauteur ( 182 mètres ). De plus, ayant atterri aujourd'hui, à 3 kilomètres de son point de départ, il peut prétendre pour l'épreuve de distance sans moteur. Il n'eut rien de plus pressé que de ramener son appareil au camp en vue d'un second départ, qu'il fixe au début de l'après midi. Quant à Maneyrol, on transporte son monoplan en tandem sur le plateau de la lande de la Rignoletterie, où règne un vent magnifique. De là, le pilote compte s'envoler d'une façon particulièrement satisfaisante, lorsqu'il se sent pris d'une indisposition qui l'oblige à suspendre ses travaux pour le resJe de la journée.
Le deuxième vol de Victor Simonet. Simonet repart sur son planeur en dépit du temps de plus en plus bouché. Il s'avance d'abord vers la mer, causant aux témoins de ses évolutions et surtout à sa femme qui le suit d'un air anxieux, une grosse émotion. Il a pour compagne de voyage, une mouette, qu'il tente d'imiter. Puis tout à coup, il s'abaisse jusqu'à 25 mètres environ de la plage qu'il se met à longer, en utilisant le vent horizontal. Vol dynamique, estime le jury. Soudain, Madame Simonet pousse un cri et se met à gémir "Il est sur l'eau, il va se noyer". A distance, on peut en effet, croire que le Poncelet survole l'onde. L'appareil s'abaisse et fmit par se poser sur le sable, près de l'embouchure du Grand Doué, qui est située sur la commune de Siouville. Simonet a volé pendant 40 minutes et parcouru une distance de 5 kilomètres 100. Vol remarquable. Le tracteur à chenilles Kégresse se charge de ramener le Poncelet qui subit une légère avarie pendant le transport. Le planeur rigide Dewoitine, qui battit à Biskra le record de la durée, va reprendre l'air après quelques modifications.
Joseph Thoret achève de préparer son planeur Bardin.

Le couplet de l'aviation.
Dédié à Maneyrol
Air : Chant de ballons.
Mais qu'est-ce donc, regardez donc
Qu'est-ce donc qui s'envole
Sur ce frêle appareil
Est-ce toi Maneyrol
Qui monte vers le ciel
Glorieux papillon
Th braves l'aquilon
Toujours plus haut, bien loin du sol
Vole, vole Maneyrol.

Mardi 21 août

17e jour - BARBOT SURVOLE LES PLUS HAUTES FAlAISES D'EUROPE.
Le vent souffle du Sud-Ouest avec une force de 10 mètres par seconde. Dans la matinée, Barbot et Descamps essayent tour à tour le planeur Dewoitine (ndr : le P-3 de Biskra). Le départ de l'appareil est à chaque fois satisfaisant. Il vole vers Vauville puis se pose sur la plage. Les deux vols effectués ont duré, l'un 2 minutes et 45 secondes, l'autre 2 minutes et 15 secondes. Faute de pouvoir continuer leurs essais de vol à voile, les deux pilotes décident de s'attaquer aux vols de distance et de moindre consommation sur moto-aviette. Barbot s'envole à 18 heures 22 avec 5 litres d'essence. Il revient à 18 heures, 51 minutes et 30 secondes ayant fait un vol de 29 minutes et 30 secondes. Il s'est rendu au Nez de Jobourg puis il est revenu au camp, ayant parcouru environ 25 kilomètres, dont une grande partie sans le secours de son moteur. Pour franchir la coupure de Vauville, Barbot a fait du vol à voile dans des conditions qu'il n'eut pas crues possibles avec son appareil. Descamps, voulant accomplir un vol identique à celui que vient d'effectuer son camarade, sort sa Dewoitine, mais avant qu'il ne la mette en marche, 19 heures sonnent, limite imposée aux congressistes pour leurs départs. Cependant, le Peyret et le Poncelet ont pris l'air, il y a quelques heures, et le tiennent toujours. La foule , encore assez dense le long des tentes, assiste pour chasser l'ennui d'une attente prolongée, au spectacle des essais à terre des petits planeurs Mignet et Sablier. Le lieutenant Simonet ne juge pas utile de prolonger son vol au delà de 20 heures. Il atterrit à l'endroit habituel après 4 heures et 6 minutes de vol. Maneyrol atterrit à son tour 6 minutes plus tard, ayant réalisé le plus long vol du congrès, à savoir 4 heures et 12 minutes. Pour le vol à voile, Simonet détient les prix de la distance et de l'altitude, Maneyrol les prix de la durée et de la totalisation des durées.
Les Hollandais s'intéressent au vol à voile, un représentant du journal "Télégraaf d'Amsterdam" est arrivé à Vauville.

Mercredi 22 août

15e jour - BARBOT VOLE PENDANT PLUS DE 6 HEURES.
Vers 9 heures, François Descamps, pour profiter d'un vent d'Ouest de 9 mètres par seconde, s'embarque sur son planeur Dewoitine, le constructeur étant présent sur le terrain. Il fait un vol de 30 kilomètres en 1 heure, 18 minutes et 15 secondes et s'élève à 170 mètres. Puis Descamps cède la place à Barbot, qui s'envole sur le même planeur à 11 heures 54. Le Dewoitine aux grandes ailes effilées va, rapidement et majestueusement, dans le cercle que s'est fixé Barbot. Le vent souffle toujours à 9 mètres par seconde. Barbot tient l'air et pour longtemps. Simonet qui a fait dans la matinée un vol de 59 minutes sur son Poncelet, décide de voler en compagnie de Barbot. On vit donc dans l'après midi, évoluer au dessus de Vauville, le Poncelet et le Dewoitine. Il faut dire que ces deux planeurs ont des atterrissages longs, très longs. Sentant que le courant va le déporter vers la ferme du Grand Thot, Barbot décide de se poser dans un champ de blé à quelques mètres d'une haie. Cette haie, Barbot la franchit en l'évitant de justesse. Barbot vient de voler pendant 6 heures, 4 minutes et 2 secondes sur une distance de près de 212 kilomètres.
Simonet a volé pendant 3 heures, 39 minutes et 30 secondes et s'est élevé à 270 mètres. Maneyrol part sur sa moto-aviette. L'état de santé de Maneyrol l'a empêché de se mesurer avec ses concurrents. Toutefois, il décide de faire un vol à puissance réduite qui peut compter comme l'une des plus importantes performances réalisées en ce congrès. Maneyrol s'envole sur sa moto-aviette Peyret / Sergant, se sert du courant ascendant pour s'élever, puis longe la côte jusqu'au Nez de Jobourg et revient vers le camp, sans cesser de faire fonctionner son moteur. Maneyrol atterrit selon ses principes, c'est-à-dire avec un roulement de 3 mètres au maximum. L'aviette Peyret a volé pendant 25 minutes avec une consommation de 675 centimètres cubes d'essence.
Maneyrol devient l'As de l'aviation économique.

Jeudi 23 août

19e jour - LE VENT TOURNE, ON NE VOLE PLUS.
Cette journée promettait d'être particulièrement mouvementée, Simonet devait battre le record de durée établi par Barbot, et Maneyrol reprendre de l'avance sur son partenaire belge. Seul, Simonet prend l'air et vole pendant 1 heure et 33 minutes. Le pilote belge a atterri plus tôt que prévu, car le vent vient de virer au Sud - Sud-Ouest. Le vol du Poncelet fut le seul exploit de la journée. On annonce une tempête, et déjà les grains se succèdent, fouettant les tentes et rendant toute tentative irréalisable.
L'avion qui fume. Soudain, un ronronnement de moteur se mêla au bruit de l'ondée. C'est un avion de chasse, un Spad, qui survole le camp, cherchant un lieu pour atterrir. Puis, l'appareil descend vers la plage et atterrit sur le sable. Un homme sort de l'avion, c'est le lieutenant Lepetit, l'un des As du vol à voile, qui pilota un des monoplans en tandem de Louis Peyret, à Biskra. Sur son Spad, muni d'un moteur Hispano - Suiza de 220 chevaux, il a fait le voyage Paris - Caen et Caen - Vauville. Cet avion est conditionné pour laisser échapper en marche, une fumée épaisse. Cette fumée décèlera les mouvements de l'atmosphère, les courbes des courants ascendants qui seront photographiés et ensuite analysés.
Le robuste planeur du constructeur Bardin est prêt. Ce monoplan est entièrement en bois et contre-plaqué. C'est un planeur à ailes épaisses avec des extrémités légèrement souples. Le pilote sera placé très en avant pour la visibilité. C'est un planeur pouvant être muni d'un moteur. Son coefficient de sécurité est de 6 et demi. Joseph Thoret déclare : "Nous venons tard au congrès, mais nous resterons ici quelques jours après la clôture, afin de faire du bon travail. Nous avons une totale confiance en notre planeur". Le planeur Max Massy, avec propulsion par hélice au moyen de pédales et le monoplan Marais, muni d'un moteur de 10 chevaux, sont arrivés à Vauville.
Drouhin, sur moto-aviette Farman, à moteur Sergant, atteint l'altitude de 3399 mètres à Toussus le Noble.


Vendredi 24 août
20e journée - CINQ APPAREILS VOLENT SIMULTANÉMENT.
Cette journée fut l'une des plus actives de toutes et certainement la plus belle. Ce matin à 10 heures 30, par un vent d'ouest soufflant à 9 mètres par seconde,]oseph Thoret vole en terrain plat sur son grand planeur Bardin, pendant 11 secondes et demie et assure ainsi sa qualification.A 15 heures 23, Maneyrol reprend le manche à balai. Son départ en cascade fait trembler l'assistance, mais après un plongeon saisissant, il retrouve l'ascendance avec cette maîtrise qui lui est propre. A 15 heures 33, Simonet s'envole mais à l'effroi de tous, le planeur emporte avec lui son sandow, qui représente un poids supplémentaire de 20 kilos. L'appareil est complètement décentré, il faut atterrir, Simonet va donc se poser près du château de Vauville, dans le champ de la "Basse Couture", puis remonte rapidement son appareil au camp et se dispose à repartir. li n'a effectué que 10 minutes de vol, et Maneyrol est en l'air avec Descamps. Oui, Descamps s'est envolé à 16 heures 36 et 40 secondes sur son planeur Dewoitine. Il s'élève, s'élève avec facilité, tandis que Maneyrol se fait un jeu de longer la mer moutonnante. Thoret part sur le planeur Bardin à 17 heures 24 minutes et 30 secondes. Le grand appareil avec son fort fuselage à l'air d'un Goliath. Il semble s'arrêter, se fIxer dans l'air, puis il poursuit lentement cette première randonnée, où Thoret met toute sa science. C'est ensuite Simonet qui, à 17 heures 39 minutes et 35 secondes, repart avec la ferme intention de rejoindre Descamps, dans les sereines hauteurs ou il se complaît. Enfin, Barbot sur sa moto-aviette Dewoitine, va tenter de battre le record de hauteur de 3399 mètres, établi la veille par Drouhin. Hélas, son moteur cale, le triomphateur d'hier fait 10 minutes de vol à voile et atterrit fort habilement. Il fera une seconde tentative sans plus de succès. Le constructeur Marais annonce qu'il va essayer son monoplan sans moteur. Ce fut pour les visiteurs et le jury lui même, une grande satisfaction de contempler les évolutions de cinq appareils de types différents. Descamps et Simonet s'efforcent de prendre la plus grande hauteur. Le planeur Peyret, en avance sur ses compagnons, se maintient et survole toujours les dunes et la mer. A un moment, il se rapproche du Bardin qui paraît presque immobile dans l'espace. C'est alors que les pilotes font la conversation : "C'est un alérion de combat que tu pilotes ?" dit Maneyrol en riant. Thoret n'ayant pas saisi la question, crie à son tour : "Tu n'as pas un petit pain à m'envoyer". Les deux aviateurs vont atterrir presque en même temps. A 18 heures 35, Maneyrol descend le premier et, comme d'usage, se fixe au sol en l'espace d'une seconde. li a volé pendant 3 heures, 14 minutes et 30 secondes. Ensuite, ce fut l'atterrissage bruyant du planeur Bardin, son vol a duré 1 heure, 14 minutes et 10 secondes. Descamps après une grande circonvolution autour du camp, atterrit, il a volé pendant 2 heures, 46 minutes et 45 secondes, et monté à 267 mètres au dessus de son point de départ. Seul, Simonet reste dans le ciel. Quelques minutes s'écoulent et le planeur Poncelet descend vers le camp. Il se balance adroitement puis atterrit sous l'admiration du public. On se souvient des premiers atterrissages de Victor Simonet qui au moment de rouler sur le sol, étaient repris par le courant. Simonet a vaincu la difficulté. Ce dernier vol ajoute 1 heure, 44 minutes et 50 secondes à son total, qui est maintenant de 19 heures, 34 minutes et 48 secondes. Aujourd'hui, Simonet a le record de la hauteur avec 295 mètres 50.
Petits essais. Le planeur Sablier en forme de barque a fait deux essais. Le premier départ se termina par une chute un peu rude pour le constructeur. Le second fut plus satisfaisant. L'appareil Hées fait un saut, se cabre la queue en l'air et crève l'un de ses pneus avec fracas.
Un visiteur. Le boxeur Battling Siki et son manager ont fait une entrée sensationnelle au camp de Vauville. Se voyant très entouré, Siki tira son chapeau vert, salua toutes les personnes présentes et fit une révérence à un petit marmot de trois ans. Le carrousel des alérions amusa beaucoup le boxeur noir.

Samedi 25 août

21e jour - MANEYROL BAT LE RECORD D'ALTITUDE EN MOTO-AVIETTE.
Ce matin, les planeurs sont restés sous les tentes car le vent n'a guère dépassé les 3 mètres par seconde. On vérifie les commandes, on se prépare activement pour le moment, où le vent paresseux va faire son apparition. A 14 heures 23,Thoret s'envole sur le planeur Bardin. "Il restera accroché jusqu'à minuit si le courant le permet", dit-on. Après une bonne série de randonnées, le Bardin va atterrir sur la plage, d'où il faudra le ramener dans la soirée. Thoret a volé pendant 2 heures, 58 minutes et 35 secondes. Seule, la vitesse trop faible du vent a pu le forcer à atterrir. A 14 heures 39 minutes, départ du lieutenant Victor Simonet sur le planeur Poncelet, toujours porté à faire de l'altitude. Simonet vole pendant 2 heures et 39 minutes puis se pose sur le camp. A 15 heures 19, Alexis Maneyrol monte dans sa moto-aviette Peyret. Le vol dure 1 heure, 23 minutes et 25 secondes, pendant lesquelles l'appareil, en 54 minutes de montée, s'élève à la hauteur de 3830 mètres, loin d'ailleurs d'avoir atteint son plafond. Maneyrol est heureux, il a le record du monde de l'altitude en moto-aviette. Il vient à peine de descendre à terre que quelqu'un vient le complimenter chaleureusement, c'est le colonel Denain de l'Elysée, envoyé par avion au camp par le Président de la république, M. Millerand. Modeste dans sa combinaison bleue et son passe montagne, Maneyrol soutint qu'il peut faire mieux. Ah ! s'il avait pu donner la chasse aux nuages devant lui, jusqu'où se serait-il élevé ? A 15 heures et 56 minutes, Descamps s'envole sur sa moto-aviette Dewoitine/Vaslln. Il fait l'épreuve de consommation économique et se rend de Vauville à Jobourg, faisant 20 kilomètres en 22 minutes et 35 secondes. A son retour, on jauge le réservoir et l'on apprend que l'aviette n'a dépensé que 765 centimètres cubes d'essence. Quelques jours plus tôt, Maneyrol a fait la même épreuve et n'a consommé que 0 litres 675 d'essence. A ces épreuves de Descamps et de Maneyrol, il manque le terme de comparaison du vol à toute puissance, qui permettra d'appliquer la formule d 'Hirschauer. Maneyrol part en direction de Jobourg où son passage est contrôlé. Après quoi, il revient au camp et stoppe son moteur, ayant consommé dans un vol de 13 minutes et 30 secondes, 1 litre 435 d'essence. Descamps, lui aussi, fait ce second essai, et pour le même voyage fait en 19 minutes et 30 secondes, il a consommé 1 litre 020 d'essence.
Petits essais. Un blessé.
Chaque jour, dans les dunes de Vauville, les frères Landes s'efforcent de faire voler leur planeur par vent horizontal. Au cours d'un de ces essais, tenté par le pilote Lucien Lefort, l'Oiseau Bleu est allé, d'une hauteur de 15 mètres, s'effondrer sur le sol où l'aviateur s'est fait une foulure et des lésions internes, ayant malheureusement tombé sur le ventre. Pansé sous la tente par le docteur Mangin, Lefort monte en auto avec Maneyrol, rallie Cherbourg et décide d'entrer à l'hôpital ..
Le bateau-volant Sablier a été, plusieurs fois en fin de journée, lancé au sandow. Le constructeur-pilote a supporté vaillamment de brutales secousses, dont une, a eu pour effet de briser une des roues de l'appareil.
Enfin, le monoplan Hées a fait quelques demi-tours fauchants qui ont eu leur part de succès.
Un huissier au camp Mouillard.
Dans la matinée, Maître Leprévost s'est rendu au camp de Vauville à la requête du constructeur de Saint Aubin. M. Charles Marie Roveloris de Rigaud de Saint Aubin a fait breveter en 1922, un système de commande destiné à faire varier à volonté, l'angle d'incidence et le gauchissement des plans d'un avion. Il a cru reconnaître dans les planeurs Dewoitine, exposés à Vauville, le dispositif dont il est l'inventeur. Sans demander la saisie des planeurs, le constructeur - requérant qui n'a voulu troubler le congrès par aucun incident, s'est contenté de faire dresser un procès verbal descriptif des deux appareils Dewoitine. C'est dans ce but, que l'huissier Leprévost assisté du colonel Renard, nommé comme expert par le président du tribunal, s'est rendu à Vauville. Il a été reçu par Barbot qui lui a déclaré, que les deux planeurs Dewoitine à incidences variables, le premier a été brisé et ses morceaux enlevés par la foule ; le second a été réexpédié à l'usine Dewoitine de Toulouse.
Maître Leprévost a dressé un procès verbal de cette déclaration et s'est retiré purement et simplement.

Dimanche 26 août

22e jour - LA CLÔTURE DU CONGRÈS DE VAUVILLE.
Combien de Cherbourgeois furent déçus ce dimanche matin, en constatant le retour du crachin, on s'était promis de passer la journée à Vauville, où ne manqueraient pas de se disputer les épreuves les plus passionnantes, notamment cette course de moto-aviettes, ajoutée par le comité, au programme du meeting. Et puis, il fallait renoncer à s'embarquer, sous peine d'être toute une journée durant, trempés jusqu'aux os. D'intrépides amateurs ne voulant manquer cette ultime journée, s'embarquèrent néanmoins, dès le matin, pour le camp de Vauville, riche en ce dernier jour, d'une trentaine d'appareils. L'excursion du personnel de l'Union des Syndicats de la Manche, prévue pour ce dimanche, eut lieu sous la direction de Messieurs Alexandre Burnouf, Le Bozec, Berthelot. Les cent visiteurs s'intéressèrent vivement aux appareils présentés au congrès et, plus encore, à leurs évolutions. Avant de quitter le terrain, le personnel de la maison du peuple remit au Comité une somme de plus de 80 francs, produit d'une collecte faite au profit de la mère du regretté pilote Jean Hemmerdinger.
Malgré la pluie, on vole. Par une curieuse coïncidence, le vent d'Ouest, qui s'était d'abord fait attendre pendant une longue semaine, avait fait son apparition à l'arrivée de Maneyrol, et n'a guère cessé de souffler depuis ce jour. En ce dernier dimanche, il était si propice au vol à voile que Thoret jugea le moment venu de faire une épreuve de distance. De son côté, Descamps tentait la même épreuve sur le planeur Dewoitine. Simonet allongeait sa totalisation avec le planeur Poncelet, qui aura été l'une des plus belles révélations du congrès. Quant à Maneyrol, devenu l'As de la moto-aviette, il soignait son appareil à moteur Sergant, en vue de faire une bonne sortie dans la soirée. Les appareils s'envolèrent dans de bonnes conditions et partirent dans des directions diverses. Simonet, fit environ 2 heures de balançoire au dessus du camp, et réussit à porter la totalisation de ses durées de vol sans moteur, à 24 heures, 25 minutes et 8 secondes. Il dépasse légèrement celle qu'atteignit Descamps à Biskra. Simonet et Poncelet ont préparé dans la soirée, le transport de leur planeur en Belgique, où ils comptent faire de nouvelles prouesses dans un prochain meeting. Sur son planeur aux grandes ailes fines, Descamps vole en direction de Siouville en s'efforçant d'utiliser la zone d'ascendance, qui paraît mieux établie dans la partie nord de la côte. On le vit s'éloigner vers les dunes et disparaître. Il fallut aller le chercher avec le tracteur à chenilles. Le planeur revint intact au camp. Descamps a effectué sans moteur, un parcours de 2400 mètres, et se classe à ce moment second, dans l'ordre des distances parcourues ...
La course des moto-aviettes. Dans le but d'utiliser le montant de nombreux prix non attribués, le comité a décidé d'organiser sur la plage, une course de moto-aviettes. Cette épreuve consiste :
1 - En une course de vitesse sur 30 kilomètres autour de deux pylônes placés à 3 kilomètres l'un de l'autre.
2 - En une épreuve d'écart de vitesse sur 6 kilomètres autour des mêmes jalons.
Cette épreuve est gagnée par Maneyrol sur aviette Peyret, Barbot et Descamps sur appareils Dewoitine, sont mis successivement hors de course par suite de pannes de moteurs. Dans ce parcours de 30 kilomètres, Maneyrol a fait, à plein régime, du 96 kilomètres / heure et à puissance réduite, du 33 kilomètres / heure.
Vitesse sur 30 kilomètres :
1 - Maneyrol en 19 minutes et 50 secondes.
2 - Descamps en 24 minutes.
Écart de vitesse:
1 - Maneyrol faisant les 6 kilomètres en 3 minutes, 45 secondes et 10 minutes, 42 secondes et 3/5e
Un accident qui n'a pas eu de suites graves s'est produit. Descamps monté sur sa moto-aviette, exécuta une manoeuvre d'atterrissage. Une des ailes de l'aviette heurta un petit arbre ce qui fit faire à l'appareil un demi tour, suivi d'un capotage. On crut le pilote blessé, mais Descamps apparut dans la haie, et fit signe qu'il n'avait pas reçu la plus légère contusion. On démonta l'appareil et on le ramena au camp.


RÉFÉRENCES

[1] Vauville, berceau du vol à voile, par Laurent Lefilliâtre, 2002

Page mise à jour le 16/02/2011
Des vieilles toiles aux planeurs modernes © ClaudeL 2003 -