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Le congrès expérimental de Vauville (1923) |
Récits de vols |
EN TRAVAUX |
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L'hedomadaire Les Ailes, |
[VP 12 p 8] |
Mon premier vol sur Vauville
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Le 29 janvier 1923 , au dessus du terrain de Vauville, où se déroulera le Deuxième Congrès Expérimental d'Aviation sans Moteur, Alex Maneyrol a porté le record du monde de vol sans moteur à 8 heures 4 minutes 50 secondes 2/5. Le remarquable pilote a bien voulu exposer à ses amis des Ailes les phases essentielles de ce splendide record. |
Vous voulez mes impressions sur le vol sans moteur de 8 heures 5 minutes que j'effectuai, le 29 janvier, au-dessus de l'anse de Vauville ? C'est bien simple, allez !
Depuis quinze jours, j’attendais ce maudit vent qui – et c’est là un cas tout à fait exceptionnel dans la région – s’obstinait à souffler trop faiblement ou dans une direction opposée à celle que je voulais utiliser. Tous vos confrères, venus passer quelque temps près de moi, étaient repartis lassés d’attendre une brise qui ne venait pas. Seul Bouvard, le photographe d’Excelsior était resté au poste, partageant avec moi une impatience qui grandissait de jour en jour.
Enfin, l’autre lundi, notre espoir se réalise ; le vent, le bon vent d’Ouest souffle à 8 ou 10 mètres sur Cherbourg.
L’auto nous emporte, rapide, vers Vauville. Nous arrivons devant le hangar… L’appareil est sorti. Je donne aux marins qui doivent tirer le sandow les dernières instructions, je monte dans l’appareil et j’attends… M. Gaudichard, chronométreur officiel de l’Aéro-Club de France, est là pour enregistrer la performance que je vais tenter de réaliser ; Éric Nessler, commissaire de l’Association Française Aérienne, agréé par l’Aé.C.F. est également présent.
Tout est prêt… Hop !... A mon signal, on a lâché l’appareil qui bondit dans le vent, face à la mer. Je n’ai pas roulé quatre mètres et déjà je suis en l’air.
A 13 heures 13 minutes 14 secondes exactement, j’ai décollé. L’ascendance du vent est remarquable ; je limite d’abord mon altitude pour « tâter » mon appareil et la façon dont il se comporte. Tout va bien. Je monte encore et à 80 m au-dessus de mon point de départ, je commence ma ronde. Est-ce bien une ronde, d’ailleurs ? En effet, je ne vire pas. Je procède comme à Iford-Hill, c'est-à-dire que je me laisse déporter dans le vent, tantôt sur la droite, tantôt sur la gauche, sans jamais virer. Je me tiens en avant de la falaise ; je survole les petites dunes de la plage à 200 mètres au-dessus d’elles…
Les heures passent… Je ne m’ennuie pas trop… Je regarde le pays, il est magnifique. De temps à autre, je croque une pastille de kola car je n’ai pas déjeuné… A d’autres moments j’allume une cigarette que je fume en toute quiétude. J’ai fumé ainsi neuf ou dix Marylands au cours de mon vol.
Le vent a tendance à augmenter… A mesure que le soleil baisse sur l’horizon, il devient de plus en plus fort. Il change aussi de direction et d’une façon très appréciable, passant du plein Ouest au Nord-Ouest. Je vole maintenant dans un vent oblique sans que la tenue de mon appareil s’en trouve influencée. La région est vraiment bonne et je songe, pour tuer le temps, aux expériences que je vais entreprendre par la suite.
Je tourne toujours… quand je pars avec le vent, dans la direction de Diélette, je dois dépasser le 60 à l’heure. Quand je reviens dans la direction du Nez de Jobourg, je vole au contraire très lentement. Une idée me vient : si je « tâtais » la fameuse coupure de Vauville qui doit être si funeste aux vents ascendants ? Je m’en approche prudemment car je ne voudrais pas descendre. Encore quelques mètres, et je suis au-dessus : je constate avec une surprise heureuse que l’appareil tient aussi bien. Je ne m’attarde d’ailleurs pas à cet essai. Ce n’est pas le moment. J’y reviendrai une autre fois. Et me voici de nouveau dans ma zone d’évolutions. Je continue à tourner. J’échange des signaux avec ceux qui sont en bas. Je leur montre la stabilité étonnante du planeur Peyret en tenant les bras en l’air, toutes les commandes lâchées, pendant plus d’une demi-minute. |

Le Peyret Alérion (pilote Alexis Maneyrol) en vol à Vauville
Photo [Lefiliatre] |
Le vent augmente encore… Il doit bien atteindre maintenant 15 à 18 mètres. Et la nuit commence à tomber. En bas, on allume des feux à mon intention… Des petits tas de bois qui se consument en un rien de temps. Alors mes amis et les matelots qui ont été pour moi d’un si précieux secours – allument en plusieurs endroits les bruyères de la lande. Ça fait un feu d’enfer… Des habitants de Biville accourent et s’inquiètent. On eut, paraît-il, quelque mal à les rassurer. La nuit à présent est venue tout à fait. Le vent est très violent. Je monte et je descends alternativement. Je craque une allumette pour regarder ma montre : il est près de sept heures. Je ne suis pas trop fatigué et j’ai l’intention de tenir encore longtemps…
Sur le sol, les feux sont entretenus et j’ai là de bons points de repère. Le vent me secoue davantage que tout à l’heure ; je dois « encaisser » quelques grains. Ce n’est pas très agréable mais je les supporte. Je ne m’ennuie pas… Je tiens mon record et un record officiel puisqu’en bas, M. Gaudichard et Éric Nessler suivent patiemment ma tentative. Cette idée suffirait à m’ôter tout ennui si je l’éprouvais. Mais on ne s’ennuie pas quand on bat un record.
A 9 heures passées, j’aperçois en dessous de moi celui qui allait me forcer à descendre : le brouillard, le terrible brouillard qui m’entoure si vite que je n’ai guère eu le temps de le voir arriver ; je descend pour me tenir dessous. Mais c’est en vain. Il est trop opaque, trop épais. Je crie que je vais m’arrêter… On allume un feu où je dois atterrir. Je descends ; je redresse un peu trop haut, trompé par l’obscurité, mais je me pose néanmoins exactement au point d’où je suis parti, à 21 heures 18 minutes 4 secondes 2/5.
Je descends de l’appareil ; on me complimente ; j’aide à rentrer mon brave oiseau sous sa maison de toile et nous partons pour Cherbourg où je devais rencontrer le plus charmant des accueils.
J’avais mon record !
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[Lefiliâtre p 180] |
Le record de distance de Thoret sur planeur Badin
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Le 26 août 1923, dernier jour du Congrès Expérimental de Vauville, Thoret bat le record du monde de distance en planeur, sur le planeur Bardin. |
J'avais convenu avec M. Bardin d'essayer d'abord de la durée et, si le vent menaçait de faiblir, de partir pour l'épreuve de distance avec les falaises du Nez de Jobourg (ou plus loin encore) comme objectif. Ayant évalué, d'après des cartes postales et la carte, le relief de cette région, j'avais constaté avec satisfaction que la machine, en toile, en bois et en contreplaqué, et avec relativement peu de métal, devait flotter longtemps avant d'être disloquée par les vagues. D'autre part, j'ai nagé une fois, deux heures en eau douce. Le seul ennui est que je venais de déjeuner, mais je me suis entraîné à nager sans être à jeun. Je commençai à voler assez longtemps entre VAUVILLE et Biville, cherchant à prendre le plus de hauteur possible. A 80 mètres de haut, je fis une première tentative pour passer la coupure de VAUVILLE, les coupures plutôt. Perdant trop d'altitude, je fis demi tour. Puis, la pluie commençant vers le Sud et le vent faiblissant un peu, je me décidai à partir. Un instant délicieusement angoissant fut celui où je mis le cap sur la quadruple trouée, brûlant mes vaisseaux, car, si je me faisais descendre après VAUVILLE, je devais me contenter de la deuxième place et malgré le plafond assez bas de mon planeur, qui n'était qu'une moto-aviette sans moteur, je voulais la première. Je survolai le village de VAUVILLE, frôlai le prieuré qui domine ce village et arrivai de l'autre côté des coupures, très bas malheureusement.Je réussis néanmoins, en frôlant les pentes du plus près qu'il était possible, et malgré des reliefs très variés, à rester en l'air et même à prendre un peu de hauteur. Jusque là, en cas de panne de vent, j'avais les petits pâturages de VAUVILLE, ceints de murs. Dorénavant, les pentes se rapprochaient de la mer et, en bas, plus de plage mais la mer et des falaises à pic. Le coup d'oeil était délicieux, et je regrettai de ne pas avoir un cinéma à bord pour enregistrer le panorama, qui se déroulait à grande vitesse entre l'avant du fuselage et l'aile droite. Les pentes vues de si près, pleines d'oiseaux qui volaient à voile, car l'oiseau, s'il sait voler à voile autrement, ne méprise nullement le vent ascendant, les fougères frénétiquement agitées par le vent, dans certains couloirs où je m'empressais de serrer la pente de plus près. Parfois des rochers, annonciateurs de la grande falaise et dans le bas, la mer, pas très mauvaise, mais montante et heurtant d'énormes paquets d'eau, en énormes blocs. Je n'étais pourtant qu'à mi-pente et je souhaitais fort de pouvoir monter un peu, pour avoir moins de remous, une ascendance meilleure et, qui sait, la possibilité d'atterrir, si mal que ce soit, dans des champs bien petits et terriblement inclinés. Un moment, dans un coin de terrain correspondant à un profù intéressant, j'eus une belle ascendance. Je respirai un peu mieux. Puis ce fut le voIle long des falaises. Ayant le vent trois quarts arrière, je marchais toujours très vite, et le fllm qui se déroulait pour moi seul était bien beau. Encore plus d'oiseaux, mais aucun être humain. Un village passe, assez loin dans les terres et plus haut que moi. Le vent est médiocre, moins bon qu'au départ de VAUVILLE. Des remous violents, les fameux "revolins" des falaises, me font descendre un peu, puis beaucoup.Je ne vole plus qu'à mi hauteur des falaises, frôlant les pics, et je commence à regretter de n'avoir pas suivi ma première inspiration :J'avais eu, en effet, plusieurs fois envie de faire demi-tour, pendant quelques instants, dans les coins de la belle ascendance, pour faire face au vent et m'enrichir un peu en altitude. J'y avais renoncé car, d'autre part, cela représentait des inconvénients :
D'abord le vent mollissait et il fallait avancer le plus vite possible avant qu'il ne tombe, et puis ma moto-aviette sans moteur étant un peu lourde pour un planeur, j'ai craint que les virages ne risquent de me faire perdre, presque tout, ce que j'aurais gagné. En outre, je trouvais plus élégant de faire mon raid sans courir de bordées et à grande vitesse. Des remous plus violents, dangereux même, étant donné ma proximité de la muraille rocheuse et son irrégularité, me firent perdre encore une parcelle du peu d'altitude que j'avais.J'étais maintenant tout à fait certain de me poser sur la mer.Je baissais de plus en plus. Je voyais de mieux en mieux les vagues se briser sur les rochers et, au dessus de moi, la falaise était bien haute. J'aurais pu, ou revenir un peu en arrière, ou même me poser en face d'endroits moins inhospitaliers, mais il fallait, pour le record, prolonger l'agonie le plus loin possible et aller loin. Utilisant l'ascendance des moindres pointes, puis des moindres blocs que heurtaient les vagues, j'avançais toujours. Enfin, je vis que tout était fini. |

Joseph Thoret à cheval sur son le Bardin après son amerrissage [Lefiliatre p 183] |
Je m'éloignai un peu en mer, pour ne pas être tout de suite drossé sur les rochers. Je "crabais"quand même vers le Nord, pour gagner encore un peu, profitant des moindres pulsations du vent pour allonger mon vol. J'avais devant moi, à ma droite, un gros îlot surmonté d'une longue perche. Je m'efforçais d'arriver le plus près possible de ce point, précieux jalon pour préciser le point d'atterrissage en ce terrain mouvant et sans repères. Mais j'arrivais sous le vent de l'îlot et de mauvais remous en résultaient. J'obliquai, un peu, à gauche pour prendre mieux le vent de face. L'eau se rapprochai de plus en plus. C'était le moment de se préparer. En cas de capotage possible, j'arrachai des panneaux de contre-plaqué qui me coiffaient les épaules, et je me préparai à atterrir, assez ennuyé, mais aussi calme que sur un aérodrome. Atterrissage classique : Béquille et roues ensembles ; au dernier moment, un coup de manche à balai en montée, assez brutal, pour essayer de ne pas capoter, car, malgré tous mes efforts, j'allais assez vite au ras de l'eau. Enfin, un choc très léger, un freinage rapide des roues et du fuselage dans l'eau. Des gouttelettes jaillissant sur mes lunettes, j'arrache mon casque, et comme l'amerrissage a été aussi normal que celui d'un hydravion, je m'assieds sur mon fuselage, les pieds sur le siège et je réfléchis. L'eau n'entre pas, la machine est face au vent.Je me rassieds pour l'y maintenir par les gouvernes. Une aile se penche, touche l'eau et alourdie, refuse de remonter. Je vais m'asseoir de l'autre côté. J'ai devant moi le gros îlot, dont le vent m'éloigne, me poussant vers un petit îlot et vers la côte.Je descends dans l'eau tout habillé et je nage le long du fuselage .Je prends la béquille et essaie de remorquer la machine vers une petite anse de sable. Impossible, le vent est oblique.
Je reviens vers l'avant et remonte dans le fuselage. Des douaniers essaient en vain de mettre à l'eau un gros canot. Je leur fais signe de venir me prendre en remorque car, la machine étant absolument intacte, je voudrais essayer de l'amener à la plage pour tenter de l'embarquer sur un gros canot. Mais le canot est trop lourd pour si peu d'hommes, et les vagues et le vent me poussent sur le petit îlot. Le planeur ne veut pas mourir. Toutes les fois qu'une vague va le broyer sur les rocs, une masse d'eau s'interpose. Un courant m'entraîne enfm vers la côte. Je ne vois plus l'anse ni le canot. Quelques litres d'eau dans le fuselage. Je me déshabille pour nager plus facilement. Je fais un lourd paquet de mes vêtements et je l'arrime sur le pont, au pied du grand mât, c'est-à-dire sur le dessus du plan contre la cabane. Des touristes me regardent danser sur la vague, du haut de la falaise. Je crie qu'on dise au canot de se hâter, car je vais bientôt être poussé à la côte. Une aile frôle le rocher, se pose sur un rebord, elle danse, avance, recule. Je cours sur elle et je débarque avec mon paquet de vêtements. Je repousse l'aile pour qu'elle ne se brise pas.Je reviens à la nage au fuselage. J'arrache les instruments de bord et le barographe officiel, que je sauve sans le mouiller. Le planeur ne veut pas mourir. Je cours pieds nus sur le roc rugueux, repoussant tout ce qui menace de toucher le récif : l'aile, la queue. Le planeur, dansant, s'engage dans la coupure où il va mourir. L'antenne de l'indicateur de vitesse Bardin, à l'avant du fuselage, se rompt la première. C'est le signal de la débâcle. Je chausse mes espadrilles et m'habille un peu, puis mon lourd ballot sur l'épaule, le barographe à la main, sans le secouer, me souvenant que j'ai fait un peu d'alpinisme lorsque j'étais interné en Suisse à la fm de la guerre, j'entreprends l'ascension de la haute falaise. Il y a des aspérités où les mains et les pieds peuvent s'accrocher. Je pose le barographe que je redescendrai chercher. En dix minutes, je suis en haut, je monte une pente très raide, plus dangereuse encore que le roc à pic.Je pose mon baluchon sur le sentier. Seconde ascension pour le barographe.Je reviens avec le tout par le sentier des douaniers, dans la direction des canots de sauvetage. On va en mettre un à la mer. Je crie qu'on m'attende. Je descends à grande vitesse. Les femmes disent qu'il n'y a plus d'homme à la mer, il ne faut pas risquer le canot pour sauver la machine. Les hommes se fâchent et nous embarquons. Nous dépassons, sans le voir, la coupure où est caché le planeur amphibie. Nous revenons en arrière. Le canot s'arrête, je descends à l'eau avec le bout d'une corde de 30 mètres, et nageant péniblement, la corde s'accrochant à mon pied, j'arrive au rocher à l'entrée de la coupure. Je ne puis aborder, les vagues risquant de me rejeter violemment. Je contourne et m'agrippe à des aspérités. Je monte, cours sur le roc, saute à l'eau et vais arrimer ma corde au guignol d'aileron. Seules les deux ailes subsistent ; tout le reste, broyé déjà, tout autour relié par les ftls de commande. Je repêche une bouteille d'aluminium du statoscope, les roues et le manche à balai. Je m'assieds près de la cabane, on me remorque, mon radeau est sous l'eau. Je claque des dents maintenant. Le remorquage est long. Mon constructeur est là parmi la foule, navré et bien heureux. On hisse sur le sable, puis on cabre le tout sur les rochers, à l'abri du flot. M. Carlier, Président de l'Association Française Aérienne, complètement bouleversé, me reproche énergiquement de lui avoir fait si peur : "Et il rit encore, cet idiot là". Puis, aussitôt, il m'embrasse sur les deux joues et c'est tout".
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RÉFÉRENCES |
[1], par Georges Houard, Les Ailes n° 112, jeudi 9 août 1923
, par Georges Houard, Les Ailes n° 113, jeudi 16 août 1923
, par par Georges Houard, Les Ailes n° 114, jeudi 23 août 1923
, par Georges Houard, Les Ailes n° 115, jeudi 30 août 1923 |
Page
mise à jour le
16/02/2011 |
Des vieilles toiles aux planeurs
modernes © ClaudeL 2003 -
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